Précis

A rebours de travaux en sciences humaines et sociales ayant figé les migrants algériens en France dans leur statut officiel de « célibataires », cet article montre combien les échanges étaient fréquents avec les femmes métropolitaines dans les années 1950–60. Il s'appuie sur des sources qui, bien que n'ayant aucunement pour objet les relations sentimentales ou sexuelles des migrants comme des métropolitaines, n'en révèlent pas moins la fréquence de ces relations : parce que les milliers de dossiers d'enquêtes policières centralisés par le ministère de l'Intérieur durant la guerre d'indépendance algérienne s'intéressent aux fréquentations et emplois du temps des victimes, suspects ou coupables, de nombreux couples mixtes apparaissent. Ces couples contractualisés ou non, légitimes ou non, durables ou non, façonnent une réalité historique autrement peu visible et permettent de se défaire des catégories figées par le pouvoir colonial au profit d'une microsociologie des relations dans un contexte particulier, celui de la guerre d'indépendance. Cet article permet d'approfondir nos connaissances sur une société française plurielle marquée par la colonisation, l'immigration et la guerre, comme sur les conséquences de la guerre dans l'intimité des individus. Il rééquilibre enfin les représentations en redonnant aux immigrés algériens et aux femmes françaises toute leur place dans l'histoire.

Historians have largely taken for granted the official depiction of Algerian men in metropolitan France as predominantly celibate. This article revises this view by analyzing the habitual interactions that these men had with metropolitan European women throughout the 1950s. It draws on the surveillance records collected by the Interior Ministry, which, in tracking the daily movements of suspects and victims, unwittingly left behind a rich repository of data on the intimate relationships between migrants and metropolitans. These records, previously unexploited in this fashion, unravel the official narratives that have affixed immutable identities to Algerian migrants, revealing the diverse lives of mixed couples. In delineating the personal ties forged by Algerian men in the metropole, this study reimagines the plurality of French society marked by immigration and war and reassesses the impact of the war on the intimate lives of mixed couples, reinstating their proper place in history.

Mes regrets me rendent dialectique.
Avant Germaine j’étais théoricien.
—Malek Haddad

« Beau garçon, il aimait fréquenter les filles et s'amusait avec elles les abandonnant lorsqu'elles avaient un enfant. L'une d'elle[s] a particulièrement retenu notre attention, il s'agit de la nommée S. Christiane, 20 ans, bonne à tout faire. Cette femme qui a vécu maritalement avec Ayad durant quelques mois en 1960 et 1961 a gardé le souvenir d'un homme peu courageux, joueur de cartes, lui remettant chaque mois environ 600 NF et ce malgré qu'il ne travaillait pas la majeure partie du temps. [ . . . ] En résumé c’était un homme peu intéressant sous tous les aspects »1. L'avis du policier pourrait bien être très différent de celui de l'historien qui voit dans ce récit la facilité apparente avec laquelle un jeune algérien et une jeune française se « fréquentent », amorcent une « vie maritale » et se séparent au début des années 1960.

Ce fragment de vie contrevient à une opinion longtemps validée scientifiquement et toujours persistante, celle d'une immigration algérienne composée d'hommes seuls, sans corps et sans sexe2, et oblige à réfléchir aux multiples interactions entre hommes algériens et femmes françaises. Car, s'il est aujourd'hui acquis que l'immigration d'Algériennes a largement précédé le regroupement familial3, que des « couples mixtes » ont existé en nombres supérieurs aux « couples endogènes » jusque vers 19584, et que les hommes avaient une sexualité, souvent tarifée, parfois homosexuelle5, il reste à explorer le large éventail des relations hétérosexuelles ainsi que le grain de la vie quotidienne qui en découle fait de rencontres, séductions, gestes amoureux, naissances, disputes, séparations. Dans la mesure où près de 300 000 Algériens vivent à cette époque au milieu de la société française, ces relations ne sont pas seulement fréquentes, elles sont aussi dominantes.

Cet article entend dépasser les études fondées sur les relations officialisées, partie infime d'un phénomène social plus vaste, et souvent vues à travers le prisme des politiques d’« intégration » à la société française ou d’« assimilation » à la culture française6, pour se focaliser sur des rapprochements privés, quotidiens, éphémères ou de longue durée. En posant le regard au point de contact de deux sociétés intriquées—immigrée, métropolitaine—dans un contexte de déchirement social et politique lié à la guerre d'indépendance algérienne (1954–62), j'opte dans cet article pour une histoire relationnelle de l'immigration, seule à même de renouveler nos connaissances tant sur la vie des immigrés que sur les couples des années 1950, le genre et la guerre.

Comme pour bien des études abordant l'intime, les sources policières et judiciaires s'avèrent essentielles. Mais, à la différence de la majorité de ces recherches qui partent de dossiers ouverts pour des délits ou crimes sexuels, fût-ce pour en découvrir à rebrousse-poil le banal7, cet article se penche sur des dossiers qui ne portent ni sur le sexe ni sur les relations entre Algériens et Françaises. Il s'appuie en effet sur l'examen exhaustif d'environ quatre mille dossiers ouverts par les différents services régionaux de la police judiciaire en France métropolitaine (SRPJ) après des morts violentes « nord-africaines » et que le ministère de l'Intérieur a décidé de centraliser entre 1958 et 1962 pour prendre la mesure d'un phénomène inédit et inquiétant : l'intensité de l'affrontement fratricide au sein de l'immigration algérienne entre deux mouvements rivaux, le Front de libération national (FLN) et le Mouvement national algérien (MNA), mais aussi au sein de chacun d'eux (purges internes, élimination de réfractaires, etc.)8. Or, parce que les policiers cherchent à comprendre ces morts à partir de trois hypothèses systématiques—crime passionnel, meurtre de droit commun ou attentat politique—ils examinent la conduite, la moralité, les fréquentations, les antécédents, les moyens d'existence et les emplois du temps de chaque victime, suspect ou coupable. Transcrivant sur du papier pelure les procès-verbaux d'audition de témoins, amis, voisins, membres de familles, les policiers enregistrent des fragments de vie quotidienne qui intéressent davantage les historiens qu'eux-mêmes, tout absorbés qu'ils sont par l'enquête judiciaire. Dès lors et de manière tout à fait incidente, des traces d'existences autrement perdues remontent à la surface avec leur cortège de documents inédits : lettres d'amour, photos, cadeaux, tatouages.

Ce n'est donc pas le sujet qui a conduit à ouvrir ces cartons mais l'ouverture de ceux-ci qui a fait surgir un phénomène jusqu'ici seulement entraperçu. Alors que le statut de « célibataire » domine les fiches synthétiques, les rapports permettent de découvrir près de quatre cents femmes, compagnes d'Algériens à des titres divers et pour des durées variables, sans compter les innombrables mentions de rencontres plus furtives avec des femmes non-identifiées. Ces dossiers nous invitent à une microsociologie de relations échappant aux catégories figées par un pouvoir colonial en faillite. Ce dernier a bien tenté pendant des décennies, comme l'ont montré Ann Laura Stoler, Judith Surkis, Christelle Taraud et d'autres, de gérer, délimiter ou définir les sexualités, les frontières raciales et les rapports licites ou illicites entre colons et colonisés comme entre autochtones et immigrés9. Mais, pour peu qu'on délaisse les sources concentrées sur les questions sexuelles (études démographiques, législations, procédures judiciaires montées autour d'affaires de mœurs, romans) pour ouvrir des archives traitant de tout autres sujets comme nos dossiers d'enquêtes après des morts violentes, il apparaît que, dans une métropole en guerre, des individus entretiennent à l’écart des organes de contrôle étatique et des préjugés politiques ou médiatiques des relations allant des « liaisons sexuelles hasardeuses » aux « identités chromatiques » grâce au concubinage, au mariage et aux enfants10.

L'analyse de ces enquêtes policières, complétée par celles de la justice militaire ou des successions musulmanes ainsi que sept témoignages oraux menés avec des Algériens et des Françaises engagés à l’époque dans des relations sentimentales, favorise une triple désorientation : elle contrevient définitivement à l'idée d'hommes absolument seuls ; elle montre que le contexte métropolitain n'a pas conduit à des pratiques de ségrégation comme c’était le cas dans l'Algérie française ou dans d'autres colonies11 ; et, surtout, elle indique que la guerre d'indépendance n'a pas interrompu, même si elle les a affectés parfois durement, les rencontres, témoignages de tendresse et sentiments amoureux, contrairement à ce que laisserait penser tout un pan de la littérature maghrébine12. Comprendre comment et pourquoi migrants algériens et femmes métropolitaines ont vécu de telles relations permet non seulement d'approfondir nos connaissances sur une société française marquée par la colonisation, l'immigration et la guerre, mais aussi sur les conséquences du conflit dans l'intimité des individus. En examinant les flirts, les relations conjugales et l'entrée du politique dans la vie intime, cet article montre finalement comment des individus de sexes, origines, religions et convictions différents mais de même niveau social se rapprochent et se jouent des frontières proto-nationales, nationales et raciales tout en en payant parfois le prix fort.

Tous les garçons et les filles

Pour un flirt

Vous envisagez le mariage ? Non, pas encore.

Vous y pensez ? Non, même pas.

Qu'est-ce que vous pensez de l'amour ? Oh, l'amour, on n'a pas le temps de l'aider à le faire mais enfin, ici à Paris, on est habitués à des petits flirts de quinze–seize jours, c'est tout. J'y attache pas une grande importance.

C'est agréable quand même ? C'est agréable d'emmener une fille au bal et de flirter, tout ça oui, mais enfin ça a qu'un temps seulement . . . 13

Lorsque Chris Marker choisit d'intégrer ce dialogue noué avec un Algérien d'une vingtaine d'années dans son documentaire Le joli mai, tableau de la France en 1963, il donne à voir et à entendre un témoignage ordinaire. Car l'immigration algérienne est composée majoritairement d'hommes jeunes, lesquels sont de leur âge et de leur temps : Meziane, « jeune et vigoureux [ . . . ] s'intéressait aux femmes [et] était en quête d'aventures galantes »14, Achemi multipliait les « conquêtes féminines », Mouhoub était un « coureur de jupon », Rahal n’était « pas indifférent au sexe faible », Aissat « avait eu diverses liaisons féminines avec des Françaises métropolitaines », Bachir « se préoccupait beaucoup plus des jeunes filles de son âge que de la politique » et Mohamed décrit son frère comme « un homme ayant eu des succès auprès des femmes ». Ces rencontres et leur évidente banalité ont laissé des traces dans les archives comme dans les mémoires. En 2015, à la question « vous aviez le travail, la vie politique, mais sortiez-vous aussi avec des amis ? », Ahmed me répond amusé : « Bien sûr, normal. Je sors avec des Françaises, je danse avec des Françaises »15.

Ces Algériens ne sont donc pas étrangers au flirt qui « triomphe » et façonne une « culture jeune » dans les années 195016. Les mots pour le dire, les gestes pour le faire, l'attestent. Courtiser, accoster, fréquenter, rencontrer, sortir avec : Algériens et Françaises partagent, outre les mots, des désirs. Les lieux pour pratiquer le flirt sont innombrables dans des villes aux fortes potentialités de séduction avec, avant tout, les cafés, restaurants, brasseries, qui sont souvent aussi les lieux de travail d'un des deux compères. Léone a fait la connaissance de Bachir dans une brasserie à Paris avant de prendre « l'habitude de le rencontrer tous les jours ou presque place du palais royal »17 et Pierrette a vécu trois mois avec Tellaa dont elle avait fait la connaissance au Bar Régent cours de Belsunce à Marseille18.

Les rues sont parcourues du matin au soir par des Algériens qui vivent d'abord en milieu urbain, que ce soit pour aller au travail, faire des courses, se rendre au cinéma ou au restaurant. Tant que les regards se croisent comme le dit Zidane : « Peu après notre arrivée sur la fête, j'ai remarqué devant un stand une fille qui m'a plu et à laquelle “ j'ai fait de l’œil ”. Voyant qu'elle répondait à mes appels, j'ai dit à ma femme d'aller acheter des bonbons aux enfants et je me suis mis en quête de contacter la fille dont je viens de vous parler »19. Odette est séduite dans les rues de Gap par Amar qui pilotait une voiture Simca Versailles et Josette est abordée par Ferhat alors qu'elle s’était rendue dans la capitale pour faire des achats. La technique peut être simple et efficace, « [Amar] m'a accostée alors que j’étais dans la rue », ou plus importune : Meziane, à la tombée de la nuit, s'adosse à une rampe métallique et « épie les femmes qui habitent dans le quartier : lorsque l'une d'elles apparaissait à une fenêtre de son appartement, il lui adressait des signes qui se voulaient amicaux et même très engageants ; mais cette façon de faire était très mal accueillie et plusieurs épouses s’étaient plaintes à leurs maris ».

Les bals sont également prisés de cette jeunesse et Ettore Scola ne s'y est pas trompé lorsqu'il fait entrer en scène un Algérien dans ceux des années 195020. Dancings, bals populaires, vogues, les Algériens dansent partout. Christiane, agent de service hospitalier de trente-sept ans, fait la connaissance d'Amar, débitant de boissons de vingt-neuf ans, dans un bal de Rouen avant de devenir « sa maîtresse »21 ; Messaoud rencontre pour la première fois Marie-Rose dans un bal du 14 juillet à Strasbourg22 et El Hadj repère Gilberte à « une fête qui avait lieu à Châlon-sur-Marne »23. De manière plus épisodique, d'autres lieux favorisent les rencontres dont les jardins publics24, cinémas, hôpitaux, hôtels, trains et même un cimetière pour Jeanne et Saïd.

Bien sûr, impossible d'opposer à l'introuvable célibataire universel un tout aussi introuvable séducteur universel. On ne « connaissait aucune liaison féminine » à Abdelkader25 et Bouzned « n'avait pas de distractions, pas d'aventures féminines : “ Ce n’était pas le moment ” [du fait de la guerre] »26. Pour d'autres, l’échec des rencontres ne supprime en rien un désir sous-jacent qui se manifeste de manière déplacée. Ali, vingt-quatre ans en 1952, souhaite trouver une Lyonnaise et voit en rêve « une fille qui venait le réveiller en lui disant : “ On va se marier, je vais te donner beaucoup d'argent ” »27 ; et Jeanne, assistante sociale qui aide régulièrement Brahim, est surprise d'apprendre que ce dernier avait tatoué son prénom cerclé d'un cœur sur son épaule malgré son refus répété de « sortir avec lui »28. De nombreuses photographies prises par la police dans les hébergements « nord-africains » témoignent d'images de femmes découpées dans les magazines et agrafées sur les murs (figs. 1a et 1b), les perquisitions mettent à jour des correspondances dans lesquelles des jeunes algériens s'envoient quelques photos de presse suggestives. Toutefois, loin de simples fantasmes qui remplissent la littérature29, traversent les rêves, marquent les peaux et égayent les habitations, ce sont bien de nouvelles manières de séduire qui s'apprennent et s'appliquent en France.

A la chasse aux papillons

Passé la première œillade et le premier contact, la relation peut s'enclencher plus ou moins rapidement entre gestes tendres et empressement. Sitôt après avoir vu Amar sortir de sa Simca, Odette entretient « des relations sexuelles avec lui »30. Coucher avec, avoir des rapports ou des relations intimes, se fréquenter, faire l'amour, les expressions sont aussi diverses que les lieux pour le faire. Impossible à quantifier, quelques-uns reviennent souvent dont les hôtels ou meublés : alors que les logements immigrés sont souvent vus sous le seul angle de l'isolement et du célibat, ils apparaissent au cœur de la société française. Renée rejoint Mohamed dans sa chambre d'hôtel où elle a « couché avec lui »31 plusieurs fois avant de perdre sa trace et Jeannine affirme que « dès que j'en avais l'occasion j'allais retrouver [Abderrahmane] chez lui, c'est-à-dire dans la chambre qu'il occupe chez son employeur »32. Les versions diffèrent parfois quelque peu, chacun jouant sur des représentations genrées entre femme à la réticence vaincue et femme fatale : pour Roberte, « cela » s'est passé dans sa chambre, Mohammed l'embrassant avant qu'elle ne se « laisse faire » quand, pour Mohammed, « Roberte, après m'avoir embrassé sur la bouche, est venue me trouver dans ma chambre. Je ne voulais pas coucher avec elle, mais elle s'est mise dans le lit et c'est comme cela que j'ai fait l'amour avec elle »33. Que dire de cette correspondance dans laquelle un Algérien rappelle à sa « chérie » la manière dont ils ont laissé le lit avec « toutes les couvertures mélangées »34, si ce n'est que l'amusement existe aussi ? Un wagon abandonné peut servir de « garçonnière » et quelques appendices, dont des caves, faire l'affaire35.

Le plein air est loin d’être délaissé par des jeunes hommes résidant dans des logements collectifs et des jeunes femmes habitant encore chez leurs parents. Rien que de très commun, comme le note un policier à propos d'un terrain vague « peu fréquenté si ce n'est par des couples d'amoureux en voiture qui y recherchent l'isolement, la nuit »36 ou comme le confessent des jeunes filles dans leurs écrits privés37. Odette le dit sans ambages, « Ces actes se passaient en plein air »38, et Simone rappelle que « Nous n'avons jamais eu de rapports sexuels à l'hôtel, tous se sont déroulés, à la cadence d'un ou deux par semaine, en campagne, ou, plus exactement, dans des terrains vagues qui bordent le quartier de Sainte Thérèse, à Nantes, où habitent mes parents ». Madeleine est un peu plus prolixe : « Je me rappelle très bien avoir passé une nuit avec Souni. Nous sommes allés tous les deux dans un bois, à proximité de Versailles. [ . . . ] Nous nous sommes allongés dans la voiture, à l'arrière. Puis nous sommes sortis du véhicule, et de nouveau nous nous sommes allongés sur le sol. Nous avons quitté ce bois vers cinq heures du matin ». Quelques couples illégitimes s'adonnent à ces plaisirs et le témoignage de la rencontre entre Andrée (mariée, mère de trois enfants) et Mansouri mérite d’être cité un peu longuement :

A cette époque, mon mari me pria de venir travailler dans le hangar de la coopérative au triage des pommes de terre. C'est au cours de ce travail auquel participait Mansouri que j'ai lié conversation avec lui. Tout de suite, il s'empressa auprès de moi et affichait des sentiments amoureux à mon égard. Il m'embrassa furtivement au début et je ne repoussais pas ses baisers, c'est d'ailleurs mon attitude consentante qui l'encouragea. Un soir du mois d'août, il m'enlaça plus amoureusement que d'habitude et je compris qu'il était amoureux de moi. Cependant je n'avais encore jamais eu avec Mansouri de relations sexuelles. Il y a quatre mois, un soir, en quittant la coopérative, il me dit, sachant que mon mari allait chaque soir jouer aux cartes chez des voisins, qu'il viendrait me voir. Effectivement, vers 19 heures 30 Mansouri est venu et m'attendait à la porte. Laissant mes enfants faire leurs devoirs, je me suis éloignée de ma maison avec Mansouri et, derrière le poulailler, nous nous sommes couchés sur l'herbe et je me suis donnée à lui. Depuis ce moment, nous avions l'habitude de nous retrouver au même endroit et d'entretenir des relations sexuelles.

Si quelques amants ne connaissent pas leurs noms, d'autres laissent libre cours à l'affection. Odette affirme que « nous nous sommes épris l'un de l'autre et je me considère comme sa fiancée » et Georgette « n'a pas caché que cet Algérien l'aimait passionnément ». Les sorties s'enchaînent : promenade dans les bois, vacances en amoureux, sortie au cinéma, découverte en voiture de la région de Gap ou dans la Chartreuse39.

Ces rencontres, la vie intérieure qui en découle, se donnent à lire dans des lettres. Tayeb se met à nu dans celles qu'il adresse sous le pseudonyme « Michel » à Josette, sa « bien aimée » qui le fait pleurer par son absence et dont il souhaiterait « être l'unique entre les mains sur [s]es lèvres et dans [s]on cœur »40 ; des enquêteurs trouvent dans l'appartement de Djafri un cahier d’écolier sur lequel étaient copiés des chansons et des poèmes, ainsi qu'une correspondance sentimentale avec une prénommée Berthe. Quant à Odette, simple amie de Rachid, elle lui rédige les lettres qu'il adressait « à ses nombreuses maîtresses ». Les cadeaux témoignent d'attachements plus ou moins forts et l'on relève un pendentif en forme de cœur, un autre gravé d'une fleur, une chainette en or et des vêtements (ceinture, peignoir, jupe, pantalon). De la déclaration à la relation, il reste encore quelques pas à accomplir.

Ne me quitte pas

Les relations entre Algériens et Françaises sont plus ou moins exclusives, engagées et longues. Comme on l'a vu, certains hommes multiplient les « conquêtes ». Alors qu'ils retrouvent le corps de Sahbi et cherchent à en savoir plus sur sa personnalité, des enquêteurs interrogent Adrienne (infirmière), Laouharia (sans profession), Yvonne (sage-femme), Edith (serveuse), Henriette (sans profession) et Georgette (secrétaire) qui toutes sortaient avec lui de manière intermittente tout en ignorant qu'il avait « de nombreuses relations féminines »41. Le titre de Don Juan lui est attribué de manière posthume par les policiers. Un Algérien décrit par quelques Françaises comme « beau garçon, très sympathique, serviable, aimant faire plaisir et très convenable » est, pour les policiers, « comme tous les marins du monde, [ . . . ] en liaison avec de nombreuses femmes, [dont] trois cependant paraissaient se partager son amour et son amitié »42. Les femmes ne sont pas en reste dans le cadre de relations non définies et suscitent parfois quelques commentaires réprobateurs, mais l’« angoisse sexuelle » émergeant ici et là sous les plumes policières vise moins la transgression des frontières raciales43 que l’émancipation des femmes. Si les compagnes de Sahbi sont considérées comme « indépendantes (célibataires ou divorcées) », et si Josette ne s'en laisse pas compter—elle quitte Ferhat avec qui elle n'a « couché qu'une seule fois » parce qu'elle ne ressent « aucune attirance particulière à [son] égard » et qu'il est un « bluffeur »44—plusieurs sont considérées comme des « filles légères » ou « volages ». Vivant maritalement avec un Luxembourgeois, Catherine rencontre Amouri avec qui elle a des enfants mais « n'en persistait pas moins dans ses habitudes et les aventures galantes se succédaient »45. Et les policiers considèrent que Simone a « des instincts plus développés que l'intellect »46. Quand le jugement négatif tombe, c'est plus souvent sur les femmes et leur libération sexuelle.

A l'intérieur des familles françaises, les représentations négatives cèdent le pas face au réel, autrement dit face à l’évidence concrète de la rencontre. Certes, quelques pères—ce sont eux qui sont généralement invités à s'exprimer—sont désapprobateurs devant la précocité sexuelle de leur fille ou le choix du compagnon. Pour Simone (dix-sept ans), par exemple, « Bien entendu, mes parents ont ignoré longtemps les relations que j'entretenais avec Sabri et il n'y a qu'environ un mois que mon père a appris l'existence de ces rapports. Il m'a vivement réprimandée et m'a interdit de revoir Sabri. Je lui ai désobéi »47. Toutefois, compréhension, acceptation, adaptation restent les réactions les plus partagées. Gisèle, enceinte de Youcef, se décide à l’épouser malgré l'opposition initiale de ses parents qui, finalement, cèdent et mettent à disposition du couple un appartement contigu à leur habitation48. Béatrice souligne que Derradji vient à la maison, avec l'accord de « [s]es parents, tous les jours », sa mère lui donnant quelques fois un bouillon et son père désirant que les deux se marient « dès que possible »49. Pierre développe son ressenti devant le parcours sentimental de sa fille :

Ma fille Monique a commencé à fréquenter très jeune. Elle a d'abord eu des relations avec un Français métropolitain de qui elle a eu une fille âgée actuellement de deux ans. Par la suite, ma fille a cessé de fréquenter le père de son enfant et a commencé à entretenir des relations avec le Français musulman Sadji. [ . . . ] Elle connaissait ce dernier depuis de nombreuses années, car il logeait au café garni que je tenais à l’époque à Liévin. Je n'ai eu connaissance de leur relation que lorsque ma fille a été enceinte, pour la deuxième fois. Elle a accouché d'une fillette le 20 juin 1958 et j'ai à ce moment là su que le père était Sadji. [ . . . ] A partir de ce moment là je n'ai plus rien ignoré des relations de ma fille avec Sadji, qui venait journellement chez moi, ou presque, et logeait parfois à mon domicile. Je crois toutefois devoir vous dire que lorsqu'il demeurait chez moi, Sadji couchait avec moi et non avec ma fille50.

Dans le seul récit autobiographique écrit par une Française sur son expérience de couple mixte dans les années 1950–60, on retrouve la réticence initiale du père, les progressifs accommodements et la « barrière invisible » persistante51.

Tant qu'il n'y a pas d'enfant, on passe facilement de l'amour à l'amitié, de l'amitié au sexe, du sexe à l'indifférence. C'est ainsi qu'après avoir vécu maritalement avec Moussa durant quatre ans, Yvonne (cinquante-trois ans) continue à entretenir quelques relations avec lui dans sa chambre malgré la séparation52, alors que Gilberte, après avoir côtoyé Kaouche environ neuf mois, ne « couche plus avec lui » tout en restant en bons termes. En revanche, à une époque caractérisée par une absence de moyen contraceptif fiable, les naissances obligent à clarifier la perspective et précipitent les mises en couples, d'autant qu'elles apparaissent souvent sous le signe du hasard. Giacomina, séparée de son mari depuis 1940 et fréquentant Abdelkader dans un hôtel, part habiter avec lui dès qu'elle se retrouve enceinte ; Germaine, compagne de Yahia depuis six ans, compte l’épouser une fois « enceinte de ses œuvres ». La mise en couple et la cohabitation entraînent une nouvelle étape dans la relation : celle de la vie en commun.

Pour le meilleur et le pire

Familles composées, décomposées, recomposées

Les statistiques, établies à partir de notre corpus de quatre cents compagnes métropolitaines d'Algériens, sont assez claires et imposent deux constats. D'une part, en reprenant les mots qualifiant les relations entre hommes et femmes trouvées dans les archives, on remarque que les relations non contractualisées l'emportent largement puisque les « concubins » (49 %), amants-maîtresses (11 %), ceux qui vivent une « vie maritale » (6 %), « amis » ou encore partenaires d'une nuit représentent 70 % des couples contre 28 % de « mariés » et quelques rares « fiancés ». De l'autre, on constate que les relations conjugales comprenant le concubinage et la vie maritale officialisée ou non (83 %) sont nettement dominantes. Elles sont le signe d'un horizon toujours ouvert sur la vie commune. Ces relations, parfois éphémères, façonnent aussi de véritables histoires et l'on retrouve des couples formés dès l'entre-deux-guerres53. De la sorte, Mohand, venu à Charleville en 1919, « vivait en concubinage » avec Esther depuis trente-quatre ans en 195954. La dynamique s'accentue après la Seconde Guerre mondiale et l'arrivée de plus en plus massive d'Algériens en France, grâce à la loi du 20 septembre 1947 qui leur accorde la citoyenneté et facilite leur entrée en métropole : en cela, la trajectoire de Messaoud est représentative dans la mesure où, entré en France en 1947, il rencontre peu après « dame Doudou » avec qui il vit en concubinage55.

Faire couple : pour être hasardeux, le fait n'en répond pas moins à quelques variables sociologiques et affectives. Les relations se forment d'abord parce que des célibataires se côtoient dans les quartiers, sur les lieux de travail ou de sociabilité et partagent des désirs réciproques : les hommes sont pour 85 % d'entre eux « célibataires » lorsqu'ils se mettent en relation avec une femme56 ; pour leur part, les femmes sont pour 63 % d'entre elles célibataires lorsqu'elles rencontrent un Algérien, 15 % divorcées ou en instance de divorce et 6 % veuves. Plusieurs femmes n'hésitent pas à dire leur attraction pour les Algériens. Julienne, interrogée en 2015, disait en souriant, « à l’époque je faisais dans les Mohamed ». Dans les archives, on trouve Maryse, « attirée par le milieu nord-africain », qui avait vécu avec plusieurs d'entre eux avant de s'attacher plus particulièrement à Omar57, ou Bernadette, laquelle, après avoir été l’épouse légitime d'Ali, « a quitté son mari à une époque indéterminée et vit en concubinage avec Ourabah depuis un an et demi environ »58.

Les couples se forment aussi parce qu'il existe des détresses affectives et, en ce domaine, il se pourrait que « la plus haute des solitudes » décrite par Tahar Ben Jelloun ne concerne pas que les hommes, d'autant que près de 12 % des femmes sont mariées et entretiennent avec un Algérien une relation extra-conjugale. Si Jocelyn Streiff-Fenart a parlé des mariages mixtes comme le plus haut degré de reconnaissance mutuelle59, ce pourcentage non négligeable nous permet de considérer dans quelle mesure et de quelle manière ces relations ont pu permettre aux Algériens de se sentir connectés à la société française. Lorsqu'Andrée accepte de retrouver tous les soirs Mansouri derrière le poulailler, elle se justifie sans mystère : « Nos rapports se sont bornés à des relations sexuelles. J'avais l'impression de trouver auprès de lui le réconfort que je ne trouvais pas dans mon ménage »60. De même, Lucienne confesse : « J’étais alors mariée, mais mon ménage n’était pas une réussite. Je l'ai donc quitté à cette époque pour aller vivre avec Mohand »61. Comme elles, des femmes délaissées par un mari buveur, absent ou violent prennent un compagnon algérien. Et des veuves retrouvent des amours perdus : Jeanne, dont le mari est décédé de ses blessures de guerre en 1944, fréquente Saïd dans les années 195062. Ces cas sont révélateurs d'un manque affectif partagé. Quelques femmes faisant face à des situations personnelles misérables trouvent le moyen de s'en sortir grâce aux Algériens : Allali subvient aux besoins de Mauricette, mère-fille « sans ressources »63 ; Tayeb sort un temps Catherine, orpheline, de la mendicité et de la prostitution ; Boulanouar se met en ménage avec Françoise, handicapée après un accident de voiture qui a tué son mari ; Ali prend en charge sa voisine, dépourvue d'argent avec un fils à charge, quand son conjoint est en prison.

Faire famille : la dynamique, pour être commune, n'en suppose pas moins la levée d'obstacles administratifs et psychologiques. Près de 10 % des femmes ont déjà des enfants lorsqu'elles rencontrent un Algérien, 3 % des Algériens déclarent être mariés en Algérie lorsqu'ils se mettent en couple en France, et 32 % de couples mixtes ont déjà débouché (au moment où on les rencontre dans les archives) sur la mise au monde d'enfants. Dans le premier cas, les hommes acceptent le passé de leurs compagnes. Cela va sans dire pour Abdelaziz qui accueille les sept enfants d'Huguette avec qui il a un nouvel enfant64, ou pour Meziane, qui ajoute deux nouvelles naissances aux deux « enfants naturels » d'Yvette65. Cela va mieux en le disant pour Zidane : « Je vis maritalement avec la nommée Germaine qui était mère d'une petite fille âgée de 1 an environ, depuis 1952. Depuis j'ai eu trois enfants avec elle. Les 4 enfants sont à ma charge »66. Dans le deuxième cas, la situation se complique administrativement du fait d'une situation inédite née de la migration. Outre les difficultés liées aux registres d’état civil lacunaires en Algérie, plusieurs Algériens sont de « faux célibataires »67. Certains sont très négligents avec leur famille demeurée en Algérie dont Chabane, marié à Fort National mais qui « ignore l'identité de [s]on épouse »68, ou Banoun, marié dans son douar d'origine et qui a « oublié le nom » de la mère de son enfant69. Seul Mokhtar, dans notre corpus, « n'a jamais renié sa femme algérienne ni les trois enfants issus de son mariage. Il adressait de temps à autre des mandats à sa famille, qu'il n'avait plus eu l'occasion de revoir depuis quelques années »70. D'autres sont négligents tant avec leur nouvelle compagne en France qu'avec celle demeurée en Algérie ou nouvelle résidente en France. Alors qu'elle a déjà présenté Bachir à ses parents, Léone décide de le quitter quand elle apprend qu'il a une épouse dans le sud71. Un homme est, en ce domaine, un concentré de mauvaise foi : Kasri, marié avec un enfant en Algérie, exerce un véritable chantage à l'encontre de Maryse, menaçant de prévenir son mari si elle le quitte72. Dans le troisième cas, qu'ils soient mariés ou pas, les Algériens « reconnaissent » généralement leurs enfants. D'après Georgette, « Je n'ai jamais pu me marier avec [Mohamed] du fait qu'il lui a été impossible d'obtenir un extrait de naissance. Il a cependant reconnu nos trois enfants naturels »73.

Le mariage, civil ou religieux, vient parfois conclure un parcours non dénué d'obstacles : près de 225 sont célébrés en métropole en 1954 par exemple74 et l'on retrouve, dans les archives privées, quelques souvenirs sous forme de photographies (fig. 2). Seuls deux Algériens (toujours sur quatre cents) se convertissent à la religion catholique, une Française à la religion musulmane. Quant aux enfants, leurs prénoms mêlent consonances algériennes et françaises soit que les enfants d'une même famille aient indifféremment un prénom français ou musulman, deux prénoms, ou un prénom algérien francisé : la fille aînée de Julienne s'appelle Leïla mais l'officier du registre d’état civil a préféré inscrire « Eliane ».

Origines conjuguées, genres séparés

Une histoire, celle de Simone et Bouzid, condense la trajectoire d'un couple, de la progressive mise en ménage à la recherche d'un logement et aux projets communs :

J'ai fait la connaissance de mon mari en 1954 à Alfortville où il habitait. Je suis devenue son amie, nous n'habitions pas ensemble, j'ai eu deux enfants de lui alors que je n’étais pas encore sa femme. Je me suis mariée le 18 janvier 1958, un troisième enfant est né de notre union. C'est à partir de 1957 que j'ai vécu avec Bouzid, d'abord à l'hôtel des Trois Marches à Viry-Chatillon et ensuite à Savigny où nous demeurons depuis janvier dernier. C'est moi qui ai acheté le terrain et la maisonnette où j'habite actuellement. Il avait été dans notre intention d'agrandir la maison. Mon mari a toujours travaillé en usine jusqu'en février dernier époque à laquelle il a été embauché à la ville de Paris.

La cartographie des couples franco-algériens correspond tant à celle de l'immigration algérienne qu’à celle des quartiers populaires. Elle dessine une France de la reconstruction avec ses baraquements, chambres meublées, hôtels et, progressivement, nouvelles maisons et HLM. Rien de stable en ce domaine : chaque couple définit sa propre trajectoire résidentielle à la recherche d'une amélioration de l'ordinaire.

Une fois la porte fermée, la répartition des rôles établie dans les foyers selon le genre est renforcée, à en croire les compagnes, par une double société patriarcale, française et maghrébine, d'autant que 43 % des femmes sont sans profession et s'occupent du foyer, quand seuls 5 % des conjoints n'exercent pas de travail (chômage ou congé maladie). Si une Algérienne rétorque aux inspecteurs ne « rien connaître de l'activité politique de son époux, car les musulmans ne confient rien à leurs femmes »75, la pratique semble s’étendre chez les couples mixtes dans un contexte—la guerre—où il est aussi préférable de jouer ce rôle de femme ignorante. Lorsque Françoise interroge Abdelkader sur ses absences, il lui répond « invariablement que ce qu'il faisait ne [la] regardait pas » et Mohamed n'a « jamais fait beaucoup de confidences [à Francine] ni quant à son passé, ni quant à ses sentiments politiques. Il n'aimait pas [qu'elle] lui pose des questions ». Quant à Jacqueline, elle ne se permet pas de faire des reproches à son compagnon car elle ne voudrait « pas briser le semblant d'harmonie qui règne dans le ménage, ceci surtout à cause de mes enfants ». Les femmes au foyer gèrent, en plus de l'ordinaire, son économie, et il est fréquent de voir les hommes verser tout ou partie de leur salaire à leurs compagnes : « Ouvrier consciencieux, Ouadhi travaillait régulièrement et donnait sa paye à son amie » et Hedia, « très correct », remettait toujours sa paye à son épouse à qui il demandait « de l'argent de poche ».

C'est dans le monde du travail que réside une singularité des couples mixtes installés : si les hommes en couple restent majoritairement ouvriers (55 %), leur proportion est inférieure à ce qu'elle représente dans l'ensemble de la population algérienne et laisse une part importante aux commerçants (28 %). Cela s'explique par l'intense brassage social favorisé par les commerces et autres métiers de contacts (cafés, hôtels, épiceries, etc.) en métropole. Les archives donnent abondamment à lire sur ces couples au travail, dans les débits de boissons ou à l'usine. Ahcène et Adrienne sont commerçants en lingerie sur les marchés76, Odette et Belkacem s'entendent aussi « bien dans la pratique du commerce ambulant que dans le cours de [leur] vie conjugale »77, Nuria exploite une « alimentation » avec Abdelaziz78. Le couple est finalement un moteur d'ascension sociale, aussi bien lorsque des Algériens sortent des Françaises de situations difficiles, que lorsque la gestion d'un commerce par les compagnes permet au conjoint d'exercer une double activité (débitant de boisson et monteur en charpente par exemple)79 ou sortir de sa condition d'ouvrier, ou que des Françaises facilitent la création d'un monde du contact : Annie, « femme dynamique et commerçante a contribué, dans une large mesure, à la prospérité du café-restaurant dont elle connaissait aussi bien la clientèle nord-africaine qu'européenne »80. Installés, au travail, les couples vivent également leur vie de couple et de famille.

Scènes de la vie conjugale

«Mon ami aimait la vie de famille »81, assure Juliette. Les enquêtes policières, en établissant des emplois du temps à la minute près, offrent une infinité de tableaux de familles ou de scènes de vie conjugale. Pour le meilleur, quand elles croquent les instants de douceurs. C'est particulièrement vrai lorsque Mohamed raconte comment, « après le repas du soir pris en famille », son fils Messaoud s'est couché entre sa concubine et lui82, ou lorsque Sylviane montre comment, après avoir dîné et couché leurs deux enfants, son ami lui propose de sortir pour voir un couple d'amis au café83, ou encore lorsque l'on voit un concubin aller chercher sa compagne tous les soirs à l'usine, une concubine guetter le bruit du car signalant le retour du travail, une mère de famille surveillant d'un œil les devoirs de son enfant tout en tricotant de l'autre pendant que le mari termine la vaisselle dans l'arrière salle du débit. Pour le meilleur aussi, quand les jeux de l'amour mettent au jour les multiples mécanismes de résolution de conflits : Ahmed reste calme quand Clarisse lui rapporte qu'Agha ne cesse de lui faire des « avances », lui rappelant simplement qu'elle est « assez grande pour savoir ce [qu'elle] a à faire »84, et Bernard, qui découvre la liaison de son épouse Rosa avec Mohand, « paraît avoir accepté la chose avec philosophie »85. Pour le meilleur enfin, quand les perquisitions font traverser le temps à des photographies qui, mises en série avec celles retrouvées dans les archives privées, affichent baisers volés dans la rue ou sourires partagés dans des salles de café. A l’évidence, des couples mixtes sortent ensemble, s'affichent en public (fig. 3), cherchent des logements communs et, parfois, emménagent dans une maison où repas et loisirs se passent à quatre86.

Pour le pire aussi, quand les policiers relèvent quelques propos racistes lors de ces sorties urbaines. Au bal, Marie se voit qualifiée de « fille à bicots » pour avoir refusé une danse à un parachutiste87, et Menouar est pris à partie par des « européens » parce qu'il « entretenait des relations intimes avec la femme d'un des leurs »88. Les témoignages, écrits ou oraux, à l’époque ou racontés à soixante ans de distance, rappellent que, dans le contexte de la guerre d'indépendance, les couples mixtes supportaient les angoisses et passions d'un conflit qui était aussi un affrontement racial et culturel89.

Pour le pire enfin quand les scènes conjugales laissent place, dans l'intimité du foyer, à des scènes de ménage, la violence conjugale existant dans les couples mixtes comme ailleurs dans la société. Pierrette quitte Tellaa après que celui-ci l'a « frappé[e] à plusieurs reprises »90 ; Jeanne se sépare de Mouhoub parce qu'il la « battait sans arrêt »91 ; Annie estime que son « mari [la] traitait comme une femme musulmane, [faisant] souvent l'objet de sévices »92. Les archives abondent de séparations temporaires ou définitives, après une « brouille » ou une « scène » de trop, comme lorsque Moussa, « exaspéré par l'attitude de sa concubine [venue] lui faire de vives remontrances » en plein café, se rend chez elle pour récupérer séance tenante ses affaires personnelles93. Ces séparations laissent filer leur cortège de tristesse et leur lot de peine, Kilani écrivant par exemple une lettre à Renée pour lui dire tout son « chagrin »94. Il n'en reste pas moins que ces peines restent relatives face à celles infligées par un contexte de guerre à la violence débridée.

A la vie, à la mort

Des couples en guerre

L'intégralité des couples cités jusqu'ici apparaissent dans des archives nées de la violence. L'intime, toujours politique95, est également fortement politisé par le contexte de la guerre d'Algérie en général, de la guerre fratricide entre Algériens en particulier. En public et en théorie, les courants nationalistes convergent progressivement vers un même désaveu. Après avoir été défendue par l'Etoile nord-africaine durant l'entre-deux-guerres, la mixité est l'objet après 1945 de réticences, lesquelles se manifestent par un silence gêné chez son héritier direct (le mouvement messaliste, MNA), la contestation conservatrice chez les religieux (oulémas), la critique marxiste chez les théoriciens du Front de Libération Nationale (FLN) qui voient dans la mixité une alliance improductive de victimes du système colonial et capitaliste96. En privé et en pratique les choses sont infiniment plus complexes : de nombreux responsables du MNA (à l'instar de son leader Messali Hadj)97 comme bien des cadres de la Fédération de France du FLN (dont les deux responsables successifs Salah Louanchi et Omar Boudaoud) ont des compagnes françaises et ces dernières sont utiles pour tous les mouvements en lutte (MNA, FLN et pro-français).

Les compagnes d'Algériens, qu'elles soient légitimes ou illégitimes, temporaires ou permanentes, engagées ou sans avis, sont prises dans la dynamique de la guerre. Les engagements affectifs se doublent d'engagements politiques. Un rapport des Renseignements généraux confie en janvier 1958 que « des femmes européennes cohabitant avec des musulmans sont souvent impliquées dans des activités nationalistes (notamment dans le trafic d'armes) »98. De fait, leurs missions sont aussi nombreuses que variées, accomplies volontairement ou sur ordre, seules ou en couple. Recrutée par son compagnon responsable d'une wilaya (préfecture) messaliste, Annette transporte des documents entre Lyon et Montélimar. Comme elle, mais pour le parti rival, Marie-Thérèse accomplit « des transports de valises dans un village à proximité de Toulouse, où vivent plusieurs Français de souche nord-africaine installés dans une ferme délabrée »99. Outre le dépôt de plis dans différentes boîtes aux lettres et la distribution de mandats pour les épouses de détenus, Claudie est chargée de prévoir l'hébergement de cadres FLN de passage dans la région lyonnaise alors que son mari a été exfiltré au Maroc100. Annie donne le pistolet de son père à son compagnon Rabah (groupe de choc FLN)101, Assomption conserve secrètement la cache d'une mitraillette pour le compte du FLN, Jeannine contacte un gendarme originaire d'Algérie pour savoir s'il serait prêt à collaborer avec le FLN.

Transports d'argent et d'armes, cache de militants ou de cadres, aide sociale pour les familles de détenus, ces activités n’étonnent guère pour des femmes en guerre : elles restent dans un rôle d'auxiliaire défini pour leur genre. Toutefois, il arrive que la complicité sentimentale débouche sur une complicité meurtrière, phénomène autrement saisissant bien que plus rare. « Certainement informés, du moins en partie, de l'exécution », des femmes sont éloignées volontairement de leur cantine le temps qu'un groupe de choc du FLN accomplisse sa besogne contre un militant messaliste tombé dans un guet-apens102. Le mari d'Eliane lui demande d’être courageuse face au « sale travail » qu'il a à accomplir avec son aide et des membres d'un groupe de choc FLN : en effet, elle conduit la voiture dans laquelle est chargé un corps jusqu’à un bois où celui-ci est jeté dans une fosse puis, parce qu'il bougeait encore, achevé de deux balles tirées à bout portant103. Sexe et politique débouchent même sur un ménage scabreux lorsque deux concubines métropolitaines semblent utilisées pour couvrir un transport de cadavre : les couples mixtes déjouent l'attention policière. Ainsi, après avoir dansé au bal, deux couples se rendent dans un bois où ils passent une partie de la nuit. D'après Odette, « après l'arrêt, le nord-africain et la jeune femme sont descendus de voiture, tandis que [Rabah] et moi restions dans celle-ci. [Rabah] et moi avons fait “ l'amour ” dans la voiture et les autres l'ont “ fait ” dehors, près de nous. Une heure environ plus tard, les autres nous ont rejoint[s] dans la voiture »104. D'après Rabah maintenant, entre les deux moments de plaisirs, lui et son camarade ont déchargé un cadavre conservé dans le coffre de la voiture pour le porter à quarante-cinq mètres du lieu des ébats où il est retrouvé à l'aube : la sexualité est devenue un instrument de l'activité politique.

Objet de surveillances, les couples engagés n’échappent pas à la répression et à la réprobation policière ou médiatique comme l'illustre un récit significatif tant des engagements parfois indéfectibles que d'une hostilité indéboulonnable :

Le rôle [d']Yvette paraît beaucoup plus néfaste. En effet, elle n'a pas caché son admiration pour le FLN et l'ALN [Armée de Libération Nationale] ne serait-ce qu'en le vociférant au centre de triage, qu'en l’écrivant même dans sa cellule. Par conséquent, c'est en pleine connaissance de cause qu'elle a caché des armes et des munitions dans sa propre armoire et qu'elle les a remises, au moment d'une expédition armée, sans se soucier [de savoir] s'il ne s'agissait pas d'une expédition destinée à abattre des fonctionnaires du service de l'ordre, ou même des nord-africains récalcitrants. Son attitude au cours de cette affaire a été particulièrement abjecte et le cynisme qu'elle a affiché tout au long de cette enquête, prouve bien son attachement aux idées et aux actions des terroristes algériens105.

Les épouses de militants, souvent militantes elles-mêmes, tâtent alors régulièrement de la prison. Si l'on prend l'exemple de la prison Montluc, située à Lyon, sur trente-sept femmes détenues entre 1958 et 1962 pour atteinte à l'intégrité du territoire national, dix sont Algériennes, vingt-sept Françaises et, parmi ces dernières, six ont un compagnon algérien. A la Petite Roquette (Paris), Hélène Cuenat côtoie cinq Algériennes et quinze Françaises dont Irma, compagne d'Akli et mère d'un enfant avec lui106.

D'un côté du mur à l'autre, les lettres manifestent de multiples inquiétudes comme lorsque Maria, enfermée à la prison de Clermont-Ferrand, demande au juge d'instruction pourquoi les lettres adressées à son compagnon sont sans réponses (« a-t-il été arrêté ? ») et pourquoi elle est sans nouvelle de ses enfants107. Quant aux droits de visites, ils sont interdits en cas de liaison informelle. Christiane écrit à l'administration pénitentiaire pour expliquer sa relation avec Ahmed connu six mois avant son arrestation, sa condamnation à mort et sa détention à Montluc, dire tout le bien qu'elle pense de lui et ainsi obtenir un laisser-passer108. Afin de faciliter les démarches, des mariages se concrétisent, soit entre un détenu algérien et sa compagne en liberté comme à Douai pour l'ancien chef de la Wilaya de Lyon et Yolande109, soit entre deux détenus : Abdelkader Touati, condamné à mort, et Paulette Clave, condamnée à cinq ans de prison, se marient à Montluc où ils sont enfermés dans deux ailes distinctes lors d'une cérémonie regroupant un « nombre suffisant » de personnes pour en assurer la publicité110.

D'une prison à l'autre, les échanges perdurent et la correspondance épistolaire témoigne à la fois des sentiments, des risques acceptés et des engagements à venir. Josette écrit depuis Montluc à son « très cher bicounet »111 Tahar pour le remercier de sa lettre qui vient rompre le désespoir dans lequel elle était, la rassurer sur ses sentiments, restaurer sa mémoire grâce à la photographie qui l'accompagne (« je ne sais si sous le choc mais impossible de me rappeler de ton visage, c’était très cruel »), et lui dire qu'elle souhaite apprendre l'arabe, preuve d'engagement pour le futur. Annick compare les fidélités politiques et sentimentales entre elle et Rabah et entre elle et son mari dont elle compte divorcer, signe d'une conviction renforcée en prison.

Adieu les concubins

Les engagements se font dans un contexte d'extrême violence. La mort est partout et les compagnes françaises sont souvent les témoins directs ou indirects d'attentats visant leurs époux, parfois les victimes. Entendant le bruit d'une détonation dans la rue, Andrée ne peut que s'exclamer « Mon Dieu, je suis sûre que c'est mon gros », avant d’être prévenue que son compagnon venait d’être tué112. Elle n'est que la triste représentante d'un phénomène beaucoup plus vaste : dans le fichier du SRPJ, quatre-vingt-neuf « européennes » identifiées apparaissent comme compagnes d'un Algérien tué entre septembre 1958 et mars 1962. Leur absence est parfois simplement suggérée comme lorsque des policiers découvrent le corps d'un « coureur de jupon » algérien abattu à domicile, et s'interrogent devant le deuxième oreiller porteur de l’« empreinte d'une tête, ce qui laisserait supposer que quelqu'un a dormi à cet endroit du lit »113. Il n'en reste pas moins que les témoignages des derniers instants abondent, tous signalant le choc, la perte de repère, la douleur. Madda, « très effrayée », raconte comment deux hommes cagoulés sont entrés de force dans son logement, ont tiré sur son mari et l'ont achevé devant elle d'une « dernière balle dans la tête »114 ; Bernadette confie que son « ami est mort presqu'instantanément, et [qu']il n'a pas pu [lui] dire les noms de ceux qui avaient tiré sur lui »115 ; Gisèle, incapable de dire « sous l'effet de la surprise » où se trouvaient les protagonistes de l'attentat qui visait son conjoint, se rappelle simplement avoir fui de peur, avant de revenir dans le couloir de son débit de boisson où elle trouve son « ami qui s’écroulait à hauteur de la porte donnant accès à la cuisine. Il décédait aussitôt. Je l'ai traîné jusque dans la cuisine où vous l'avez découvert »116. Régine narre sa dernière sortie dans la rue avec son compagnon et un de ses amis algériens, lequel est victime d'un attentat qui la laisse sonnée : « Rassemblant mes sens, je me suis approchée de Bachiri tout en faisant signe aux voitures de l’éviter et de s'arrêter. [ . . . ] Je me suis agenouillée auprès de [lui] et ai posé sa tête sur mes genoux. Il râlait et n'a pas prononcé une parole. [ . . . ] Peu de temps après son admission [à l'hôpital], on nous a annoncé sa mort »117. D'après Fernande qui accourt dans le débit de boissons du fait de détonations, elle prend le visage de son compagnon qui la regarde longuement et croit « comprendre, d'après le mouvement des lèvres, qu'il lui disait “ Adieu ” »118. Celles qui n'assistent pas aux derniers moments de leurs compagnons sont appelées à reconnaître leurs corps à la morgue, début d'un processus de deuil difficile et presque jamais publiquement reconnu.

Ces deuils sont aggravés par l'absence de reconnaissance légale pour la plupart de ces compagnes non déclarées et leur exclusion de l'héritage. Les dossiers de successions musulmanes, gérés par le Fonds d'action sociale (FAS), indiquent le peu de cas fait de ces femmes119. La loi du 20 septembre 1947 conservant au bénéfice des « Français Musulmans d'Algérie » leur statut personnel en matière successorale, les bénéficiaires d'un héritage sont, dans l'ordre, l’épouse (non séparée ou divorcée), les descendants, les ascendants. Dans le cas où un Algérien a une concubine en France, il apparaît que son héritière est son épouse restée en Algérie120 ; dans celui d'Algériens vivant en concubinage depuis de longues années en France, ce sont les parents également en Algérie qui bénéficient du capital décès121. Dans le cas de mariages, et parce que ceux-ci ont pu être scellés au civil ou selon la coutume, des conflits peuvent opposer une famille en Algérie et une autre en France, le droit coranique et le droit civil français, le directeur du FAS et les notaires. Quelques cas donnent aux sentiments une possibilité d'expression, comme lorsqu'une sœur héritière demande, par l'intermédiaire du directeur du FAS, aux enfants du décédé dont elle découvre l'existence, s'ils « désirent rejoindre l'Algérie chez leur tante où ils seront les bienvenus »122, ou encore lorsqu'une concubine inhume son compagnon dans le caveau familial aux côtés de ses propres parents123.

Les compagnons de ces femmes françaises tombent pour avoir été réfractaires à un mouvement nationaliste (FLN ou MNA), avoir appartenu à un parti rival, avoir été un peu trop francophile ou encore trop près des services de police. La relation avec une européenne est rarement un mobile suffisant mais peut être un facteur aggravant. Devant l'assassinat d'Ammar, tué alors qu'il rentrait en mobylette d'un bal avec son épouse, les enquêteurs estiment qu’« il s'agit incontestablement d'une action à mettre à l'actif du MNA et il se peut que la victime ait été désignée à cause de ses sympathies pour le FLN et surtout en raison de son mariage avec une française »124. Francophile, fréquentant presque exclusivement des métropolitaines, Ali, selon les policiers, a probablement « été exécuté par le FLN en tant qu’élément irrécupérable pour la “ cause ” »125. Et le message est parfaitement clair lorsqu'Amar est abattu sur le porche de l’église Notre-Dame-du-Suaire à Saint-Ouen le jour de son mariage avec Nicole, une jeune catholique126. Le caractère controversé des couples mixtes se lit aussi dans quelques témoignages de membres de groupes de choc qui, pour être les plus engagés dans la lutte nationaliste n'en fréquentent pas moins des Françaises (24 % des hommes appartenant à des groupes de choc sont en couple avec une Française ou européenne). Ayant pris les armes pour faire oublier son mariage mixte, Ahmed justifie ainsi son engagement : « Khoudir voit d'un mauvais œil que je vis avec une alsacienne. A plusieurs reprises il m'a fait comprendre que ma concubine devait me quitter mais j'ai refusé. Il se méfie d'elle parce qu'il croit qu'elle est un agent de la police »127.

Stade ultime de la violence, certaines compagnes sont tuées par des commandos, pour avoir été des témoins gênants, s’être interposées, ou avoir été condamnées à mort pour leur implication dans la lutte. Monique est abattue à côté de son amant dans une chambre d'hôtel à Lille, alors que ce dernier avait détourné de fortes sommes d'argent destiné au FLN128 et Germaine est assassinée dans son débit de boisson pour son appartenance au MNA129. Dans le fichier du SRPJ, une trentaine de compagnes « européennes » sont tuées ou blessées.

Adieu les concubines

La fermeture d'un dossier d'enquête ou la clôture du fichier central des SRPJ avec la fin de la guerre d'indépendance laissent la plupart des trajectoires de couples dans l'ombre. L'enquête orale et les demandes de naturalisation permettent d'en esquisser quelques-unes entre vie commune en Algérie ou en France, vies séparées de part et d'autre de la Méditerranée.

Les Algériens (FLN) fortement impliqués dans la lutte pour l'indépendance, condamnés lourdement par les tribunaux militaires métropolitains, ont été reconduits par l'armée en Algérie entre le cessez-le-feu (19 mars 1962) et l'indépendance (3 juillet 1962). Certains ont essayé de négocier leur séjour en France mais sans succès, comme Ahmed : « Cet individu, sans scrupules, fait état de ce qu'il est marié à une Française pour prétendre ne pouvoir être expulsé. On peut cependant le considérer comme indésirable en France »130. Cinquante ans après, lorsqu'on les rencontre, ils ont construit leur famille avec des Algériennes et sont devenus grands-pères. C'est avec amusement qu'ils découvrent les lettres retrouvées dans les archives sur leurs liaisons passées : Ahmed, refusant de livrer les moindres détails comme le nom de sa compagne de l’époque, est finalement content de retrouver des traces de celle-ci et de son soutien alors qu'il était en prison. Les regards sont complices entre Djillali et son épouse algérienne quand on se met à parler des lettres d'une concubine de l’époque, l’épouse ajoutant : « il était jeune, il s'amusait ». Lorsque Lamri, ancien membre des groupes de choc FLN de Lyon, quitte le bureau des anciens condamnés à mort de Sétif une fois l'entretien terminé, Salah, compagnon d'arme, se retourne et dit : « Quand même, il a fait quelque chose de mal. Il avait une copine à l’époque, il est parti sans lui dire un mot ».

Les compagnes qui ont suivi leur conjoint en Algérie font souvent état de difficultés, thème classique de la littérature131. Durant la guerre elle-même, Pierrette, son conjoint et ses enfants, fuient les menaces et le danger de la métropole pour rejoindre le village du mari. La désillusion est rapide : « Nous sommes partis en mai 1961, mais, ne pouvant pas m'adapter aux mœurs de ce pays, je suis revenue seule en métropole le 10 juin 1961, laissant mon mari et mon fils en Algérie »132. Anne-Marie Louanchi rappelle que les couples sont retournés en Algérie dans deux avions distincts, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes133 et Jeannine s'est sentie exclue le jour même de l'indépendance puisqu'elle n'est pas invitée aux célébrations par son mari trouvant embarrassant d’être toujours présenté comme « le mari de Jeannine ». En Algérie, les difficultés s'amoncellent entre impossibilité d'acquérir la nationalité algérienne et comportement des femmes qui, lors des réunions de familles, parlent arabe pour la tenir à l’écart. Dès 1962, Ahmed Ben Bella et Houari Boumédienne ont marginalisé les couples mixtes, vus comme une menace pour l'identité arabo-musulmane socle du nouvel Etat national134. Le code de la nationalité voté en 1963 accorde automatiquement la nationalité à celles et ceux qui sont nés « Musulmans », mais oblige une requête pour tous les européens, qu'ils aient ou non participé à la lutte pour l'indépendance. Et quand la question des divorces au sein des couples mixtes se pose, elle devient, comme l'a montré Judith Surkis, une question diplomatique épineuse : alors que des mères de familles françaises se plaignent de voir leurs enfants enlevés par leurs pères et ramenés en Algérie, elles sont démunies face aux lois de l'Etat algérien qui considère ces enfants comme rapatriés légalement dans leur mère patrie. La bataille émotionnelle et juridique pour la garde des enfants symbolise le problème de l'appartenance nationale après l'indépendance135.

En France, le couple mixte est une facilité administrative : sur 1 173 Algériens demandant et obtenant la naturalisation française entre 1963 et 1969 dans le Rhône, 378 soit 32 % sont en ménage avec une Française136. Les agents préfectoraux voient là un gage de bonne « intégration ». Pour Rabah, son mariage avec France indique qu'il est « parfaitement assimilé à nos mœurs », pour Belkacem, « il y a lieu de noter que sa femme est française », et pour Saddok, enfin, « il ressort de l'enquête que le requérant est marié à une française, et qu'il a rendu des services dans la lutte menée localement contre le FLN. C'est la raison pour laquelle je pense que sa requête mérite une suite favorable »137. La vie n'a pas été malheureuse qu'en Algérie, le fils de Saddok et Rose concluant l'entretien ainsi : « Ma mère n'a pas été heureuse. Mon père ne s'occupait pas d'elle. Elle n’était qu'avec des Algériens. Puis mon père a passé sa retraite en Algérie. Finalement, ma mère a toujours été seule ». Abdelmalek Sayad a longuement défini la « double absence » des Algériens, immigrés ici et émigrés là-bas. Il est peut-être une autre double absence, celle des compagnes françaises d'Algériens : ni Algériennes en Algérie, ni totalement Françaises en France.

Conclusion

Flirts, rencontres d'une nuit, relations informelles, mises en ménage, concubinages, mariages : hommes algériens et femmes françaises (ou européennes : allemandes, espagnoles, italiennes, etc.) de tous âges se côtoient dans les années 1950 tout en restant absents, dans leur grande majorité, des registres d’état civil, recensements, enquêtes administratives ou fichages policiers. Il a fallu que la violence de la guerre d'indépendance algérienne s'immisce dans leur quotidien pour leur donner une certaine épaisseur.

Pour recevoir invariablement l’étiquette de « célibataires », les hommes algériens ne sont pas inévitablement seuls, d'autant qu'ils sont dans leur immense majorité jeunes et urbains. Cafés, hôtels, bals, rue : les lieux de rencontre sont aussi nombreux que les modalités d'approche, entre échanges de regards, discussions nouées dans les transports ou dans un bar, proposition d'une danse lors d'une fête. Ce sont généralement des voisins qui s'abordent et se rencontrent : ils partagent un même cadre de vie et un même statut social. Les mots sont communs : on se « courtise », on « fait l'amour » ou on « couche ensemble ». Que les hommes ressentent un manque affectif dans le contexte migratoire, qu'ils voient leurs désirs exacerbés par les libertés de la ville, cela ne fait aucun doute. Mais, réciproquement, il ne fait aucun doute non plus que des femmes partagent ce manque affectif.

Suscitant des commentaires désapprobateurs de quotidiens régionaux, de policiers ou de partis indépendantistes dans ce qui s'apparente à une redéfinition des politiques affectives nationales, ces couples se jouent des frontières d'origine et de religion mais non de classe, les compagnons partageant un même contexte social voire un même travail. Loin de la ségrégation imposée par le contexte colonial en Algérie, ils sont la preuve de rapprochements possibles malgré une guerre qui fragmente la communauté algérienne immigrée et divise la société française. Les discours tenus à leur sujet dans l'intimité des foyers, dans les familles élargies, illustrent les adaptations et cohabitations. L'entraide prime sur les conflits et, même si les tâches dans le foyer sont réparties selon le genre, il n'est pas rare de voir les hommes algériens s'occuper du foyer et des enfants, faire la vaisselle ou les courses. A une époque marquée par l'absence de moyen contraceptif fiable, les enfants arrivent assez vite pour sceller la relation.

L'ordinaire et l'extraordinaire s'entremêlent finalement dans ces familles marquées par la violence politique. L'intime est politisé non seulement par les discours portés sur les relations mixtes mais plus encore par les engagements multiples. Les femmes sont mobilisées par les partis en lutte (FLN comme MNA) comme par la police (indicatrices) et en subissent bien des conséquences : elles vivent dans la peur des collectes et des amendes, assistent à des scènes d'extrême violence, font face à la perte d'un compagnon, et peuvent être victimes d'attentats. La guerre n’étant pas reconnue, ces compagnes non officielles n'ont été considérées ni par l'Etat français ni par l'Etat algérien comme « veuves de guerre », elles n'ont pas plus perçu de secours ou d'indemnisations après des attentats qualifiés à l’époque de « terroristes », et ont souvent été écartées des héritages.

Malek Haddad, militant du FLN, romancier et poète algérien de langue française, écrivait en 1960 dans un livre consacré à la vie d'un immigré en France, à propos des couples mixtes confrontés à la colonisation et à la guerre, « Je hais l'Histoire parce que l'Histoire complique tout »138. Les principes résistaient mal devant la vie concrète, la théorie laissait place à la dialectique. Il apparaît, au terme de cet article, que l'histoire de cette complexité apporte un éclairage nouveau sur d'importants micro-processus sociaux à l’œuvre au sein d'une France métropolitaine transformée, dans les années 1950–60, tant par l'immigration algérienne qu'une guerre de décolonisation de haute intensité.

Remerciements

L'auteur souhaite remercier Sung-Eun Choi, Liana Grancea et les lecteurs anonymes de French Historical Studies pour leurs précieux conseils, ainsi que Mustapha Badri et Jeannine Belhadj-Merzoug pour le partage de leurs photographies.

Notes

1.

Pierrefitte-sur-Seine, Archives Nationales (désormais AN), 19880509/6/1, dossier 3448, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 12 janvier 1962.

2.

Deux œuvres ont particulièrement ancré cette image : Sayad, « Les trois “ âges ” de l’émigration algérienne en France » ; Ben Jelloun, La plus haute des solitudes.

3.

Parmi les livres sur ce sujet, voir Lyons, Civilizing Mission in the Metropole ; André, Femmes dévoilées.

4.

Grâce aux travaux pionniers de MacMaster, « Sexual and Racial Boundaries » ; « Role of European Women ». L'historien révèle qu’à partir de 1959 le nombre de couples algériens enregistrés (20 000 au total) dépasse celui des couples mixtes (« Role of European Women », 358).

5.

Sur le recours à la prostitution ou à l'homosexualité, voir Blanchard, « Des Algériens dans le “ Paris gay ” » ; André, « Le sexe comme champ de bataille » ; Shepard, Mâle décolonisation.

6.

De nombreux travaux se sont concentrés sur les mariages mixtes vus comme facteurs d'intégration. Ils insistent sur le fait que les mariages conclus avec les Algériens ne sont guère différents de ceux conclus avec des migrants d'autres origines. Voir Noiriel, Le creuset français. Nimisha Barton montre comment le sentiment du déclin démographique après 1945 a permis aux immigrants de bénéficier des aides sociales aussi longtemps qu'ils remplissaient les rôles attendus pour leur genre comme mères, pères, travailleurs (Reproductive Citizens). Pour remettre cette historiographie française dans une approche plus globale des relations conjugales binationales, interreligieuses ou interraciales, lire Moses et Woesthoff, « Romantic Relationships across Boundaries ».

7.

Pour ne prendre que quelques exemples, Farge, La vie fragile ; Sohn, Du premier baiser à l'alcôve ; Fournié et Bugnon, Le sexe interdit.

8.

Ces dossiers sont aujourd'hui rassemblés dans un fonds spécifique aux Archives Nationales, Site Pierrefitte-sur-Seine, intitulé « Dossiers d'enquête sur des activités subversives d'individus nord-africains en métropole entre 1956 et 1962 ». Il s'agit du fonds 15275, cotes 19880446/1 à 30 et 19880509/1 à 10.

9.

Cette gestion des frontières raciales entre les sexes a été vérifiée dans les études démographiques, les politiques de recrutement de travailleurs ou encore la législation tout au long de la période coloniale, dans les colonies comme dans la métropole. Ann Laura Stoler a été pionnière dans ce domaine avec notamment La chair de l'empire. On citera aussi les travaux de Judith Surkis, Sex, Law, and Sovereignty in French Algeria ; et de Christelle Taraud, Amour interdit. Sur les mariages interdits entre Françaises et étrangers à travers le temps ainsi que sur la perte de nationalité qu'entraînait, pour les Françaises, le mariage avec un étranger avant 1927, lire, pour la période précoloniale, Heuer, « One-Drop Rule in Reverse ? ». Pour la période coloniale et dans le contexte de l'immigration, on se reportera à Camiscioli, Reproducing the French Race et « Intermarriage, Independent Nationality, and the Individual Rights of French Women » ; et aussi Guerry, Le genre de l'immigration et de la naturalisation. Sur le modèle de citoyenneté française prétendument aveugle à la couleur ou à la race, voir Peabody et Stovall, Color of Liberty.

10.

Stoler, La chair de l'empire, 29, 164.

11.

En Algérie, les mariages franco-algériens sont l'exception (4 par an entre 1891 et 1900, 8 par an entre 1905 et 1914, 175 en 1953 pour une population de huit millions d'Algériens et un million de Français). MacMaster, « Role of European Women », 359.

12.

Pour de nombreux romanciers algériens, le colonialisme et la guerre d'indépendance ont interdit toute union mixte. Sur ce sujet, lire Déjeux, Image de l’étrangère, 16, 23, 61–62.

13.

Chris Marker et Pierre Lhomme, Le joli mai, 1963, 2h07–2h09 (https://www.youtube.com/watch?v=aRPXsnSmnvc).

14.

Dans l'ordre : AN, 19880446/9/1, dossier 874, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 20 juillet 1959 ; 19880446/20/2, dossier 1967, Rapport au chef du SRPJ, Lille, 16 septembre 1960 ; 19880446/21/1, dossier 2036, Rapport au chef du SRPJ, Lille, 8 août 1960 ; 19880446/5/1, dossier 428, Rapport au chef du SRPJ, Strasbourg, 11 mars 1959 ; 19880446/1/1, dossier 17, PV de renseignement Mohamed A., 12 septembre 1958 ; 19880446/15/2, dossier 1487, Rapport au sous-chef du SRPJ, Angers, 19 mars 1960 ; 19880509/9/3, dossier 3965, Rapport au chef du SRPJ, Strasbourg, 29 septembre 1962.

15.

Entretien avec Ahmed I., Alger, 21 octobre 2015.

16.

Rebreyend, Intimités amoureuses, 146–63 ; Kalifa, Paris, 81. Ces travaux n'intègrent jamais les immigrés à leurs analyses de la « société française ».

17.

AN, 19880446/13/2, dossier 1297, PV Léone W., 13 novembre 1959.

18.

AN, 19880446/15/2, dossier 1483, PV Pierrette D., 9 janvier 1960.

19.

AN, 19880446/9/2, dossier 950, PV Zidane L., 21 août 1959, Citations suivantes dans les dossiers : 19880446/10/1, dossier 970, PV Odette Y., 10 août 1959 ; 19880446/11/2, dossier 1125, PV Josette T., 29 septembre 1959 ; 19880446/17/2, dossier 1681, PV Marie-Louise B., 8 janvier 1960 ; 19880446/9/1, dossier 874, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 20 juillet 1959.

20.

Ettore Scola, Le Bal, Cinéproduction, 1983.

21.

AN, 19880446/7/1, dossier 657, PV Christiane F., 24 avril 1959.

22.

AN, 19880446/11/1, dossier 1075, PV Messaoud R-L., 15 septembre 1959.

23.

AN, 19880446/18/2, dossier 1815, PV Elhadj K., 21 avril 1960.

24.

Dans l'ordre : AN, 19880446/18/2, dossier 1815, PV Colette G., 11 avril 1960 ; 19880446/13/1, dossier 1265, PV Béatrice A., 30 septembre 1959 ; 19880446/13/2, dossier 1305, PV Abderrahmane B., 9 octobre 1959 ; 19880446/14/2, dossier 1381, PV Mme D., 17 novembre 1959 ; Le Blanc, Archives de la justice militaire (désormais AJM) ; TPFA Lyon, jugement n°2/2600, PV Clothilde F., 21 septembre 1958 ; AN, 19880446/11/1, dossier 1100, PV Jeanne C., 9 septembre 1959.

25.

AN, 19880446/7/2, dossier 688, Rapport au chef du SRPJ, Strasbourg, 12 août 1959.

26.

AJM, TPFA Lyon, jugement n°181/2381, Expertise médicale.

27.

Colin, La morbidité des Nord-Africains, 37–39.

28.

AN, 19880446/21/2, dossier 2063, PV Jeanne P., 7 avril 1960.

29.

La littérature est pleine de ces fantasmes autour de ces femmes françaises ainsi que le montre Jean Déjeux à partir de l'examen de 316 romans maghrébins écrits entre 1920 et 1987 : Déjeux, Image de l’étrangère, 24.

30.

AN, 19880446/10/1, dossier 970, PV Odette Y., 10 août 1959.

31.

AN, 19880446/14/2, dossier 1381, PV Mme D., 17 novembre 1959.

32.

AJM, TPFA Lyon, jugement n°167/3058, PV Jeannine M., 20 mars 1961.

33.

AN, 19880446/21/1, dossier 2040, PV Alcide R. et Mohammed L., 11–12 juillet 1960.

34.

AJM, TPFA Lyon, jugement n°36/2236, Brouillon de lettre.

35.

AN, 19880509/4/1, dossier 3190, Rapport au chef du SRPJ, Rouen, 9 août 1961.

36.

AN, 19880509/6/2, dossier 3455, Rapport au chef de la Sûreté urbaine, Avignon, 28 mars 1962.

37.

Rebreyend, Intimités amoureuses, 173.

38.

Dans l'ordre des citations : AN, 19880446/10/1, dossier 970, PV Odette Y., 10 août 1959 ; 19880446/10/1, dossier 983, PV Simone B., 18 août 1959 ; 19880446/11/1, dossier 1054, Madeleine S., 23 novembre 1959 ; 19880446/21/2, dossier 2086, PV Odette G., 8 août 1960 ; 19880446/26/1, dossier 2551, Rapport au chef du SRPJ, Paris, 4 mai 1961.

39.

AN, 19880446/9/1, dossier 914, PV Nicole R., 15 juillet 1959 ; 19880446/25/1, dossier 2446, Rapport au chef du SRPJ, Rouen, 15 mars 1961 ; 19880509/2/1, dossier 3022, Rapport au chef du SRPJ, Reims, 18 octobre 1961 ; 19880446/22/3, dossier 2206, Adrienne T., 20 décembre 1960.

40.

AN, 19880446/11/2, dossier 1125, Lettres de Tayeb à Josette T., septembre 1959 ; 19880446/22/1, dossier 2090, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 20 septembre 1960 ; AN, 19880446/15/2, dossier 1487, PV Odette L., 17 décembre 1959.

41.

AN, 19880446/22/3, dossier 2206, PV multiples, 20 décembre 1960–24 janvier 1961. Et rapport au chef du SRPJ, Lyon, 5 mai 1961.

42.

AN, 19880509/7/1, dossier 3576, Rapport au chef du SRPJ, Marseille, 10 février 1962.

43.

Sur la manière dont les angoisses sexuelles interrogent les hiérarchies coloniales, outre les travaux d'Ann Laura Stoler, La chair de l'empire, 64, 94 ; voir Cooper, France in Indochina, chapitres 7–8.

44.

AN, 19880446/11/2, dossier 1125, PV Josette T., 29 septembre 1959.

45.

AN, 19880509/7/2, dossier 3657, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 9 mars 1962.

46.

AN, 19880446/10/1, dossier 983, PV Simone B., 18 août 1959.

47.

AN, 19880446/10/1, dossier 983, PV Simone B., 18 août 1959.

48.

AN, 19880509/2/2, dossier 3058, PV Gisèle L., 9 août 1961.

49.

AN, 19880446/13/1, dossier 1265, PV Béatrice A., 30 septembre 1959.

50.

AN, 19880446/6/1, dossier 562, PV Pierre S., 26 mars 1959.

51.

Aouchal, Une autre vie, 8, 27.

52.

Dans l'ordre pour les citations suivantes : AN, 19880446/13/2, dossier 1333, PV Yvonne S., 5 novembre 1959 ; 19880446/18/2, dossier 1815, PV Gilberte D., 13 avril 1960 ; 19880446/8/2, dossier 846, PV Giacomina P., 30 janvier 1958 ; 19880446/2/1, dossier 71, PV Germaine A., 21 octobre 1958.

53.

Geneviève Massard-Guilbaud affirmait, dès cette période, qu'un Algérien sur dix était marié ou « vivait avec une Française de métropole (ou une européenne en tout cas) » (Des Algériens à Lyon, 301).

54.

AN, 19880446/12/2, dossier 1202, Rapport au chef du SRPJ, Reims, 2 novembre 1959.

55.

AN, 19880446/16/1, dossier 1557, Rapport au chef du SRPJ, Lyon, 27 février 1960.

56.

Auxquels on peut ajouter les séparés ou divorcés (3 %) et les veufs (1 %).

57.

AN, 19880446/20/1, dossier 1930, Rapport au directeur des Services de PJ, Angers, 8 avril 1960.

58.

AN, 19880446/19/3, dossier 1883, Rapport au chef du SRPJ, Paris, 21 avril 1960.

59.

Cité par MacMaster, « Sexual and Racial Boundaries », 358.

60.

AN, 19880446/6/2, dossier 611, PV Andrée D., 15 avril 1959.

61.

AN, 19880446/26/2, dossier 2575, PV Lucienne B., 8 mars 1961.

62.

AN, 19880446/11/1, dossier 1100, PV Jeanne C., 9 septembre 1959.

63.

Dans l'ordre : AN, 19880509/2/2, dossier 3047, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 12 septembre 1961 ; AN, 19880446/8/2, dossier 846, PV Boulanouar B., 29 mai 1959 ; AN, 19880446/8/2, dossier 846, PV Mme P., 30 janvier 1958.

64.

AN, 19880446/8/1, dossier 781, Rapport au chef de la Sûreté, Mézières, 24 juillet 1959.

65.

AN, 19880446/9/1, dossier 874, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 20 juillet 1959.

66.

AN, 19880446/9/2, dossier 950, PV Zidane L., 21 août 1959.

67.

Expression de Massard-Guilbaud, Des Algériens à Lyon, 293.

68.

AN, 19880446/18/3, dossier 1817, PV Chabane B., 3 mai 1960.

69.

AN, 19880446/24/3, dossier 2379, PV Banoun B., 20 décembre 1960.

70.

AN, 19880446/24/3, dossier 2379, Rapport au chef du SRPJ, 24 février 1961.

71.

AN, 19880446/13/2, dossier 1297, PV Léone W., 13 novembre 1959.

72.

AN, 19880446/19/3, dossier 1874, Brigade criminelle outre-mer, Marseille, 16 avril 1960.

73.

AN, 19880446/23/1, dossier 2238, PV Georgette A., 12 octobre 1960.

74.

Marchand, Les mariages franco-musulmans, 196.

75.

AN, 19880446/10/2, dossier 1003, Rapport au chef du SRPJ, Nancy, 24 avril 1961. Citations suivantes : 19880446/8/2, dossier 846, PV Françoise D., 30 janvier 1958 ; 19880446/16/2, dossier 1614, PV Francine L., 4 février 1960 ; 19880509/2/2, dossier 3058, PV Jacqueline B., 9 août 1961 ; 19880446/25/1, dossier 2453, Rapport au chef de la section locale de PJ, Argenteuil, 16 juin 1961 ; AN, 19880509/4/1, dossier 3227, PV Veuve Helga G., 24 septembre 1961.

76.

AN, 19880446/16/1, dossier 1536, PV Mme Adrienne B., 23 janvier 1960.

77.

AN, 19880446/22/3, dossier 2167, PV Odette B., 15 septembre 1960.

78.

AN, 19880446/23/3, dossier 2320, PV Nuria P., 9 novembre 1960.

79.

AN, 19880446/25/1, dossier 2443, PV Amokrane A-B., 1er mars 1961.

80.

AN, 19880446/24/3, dossier 2379, Rapport au chef du SRPJ, 24 février 1961.

81.

AN, 19880446/23/1, dossier 2215, PV Juliette C., 26 septembre 1960.

82.

AN, 19880446/19/2, dossier 1859, PV Mohamed D., 28 avril 1960.

83.

AN, 19880446/12/1, dossier 1147, PV Sylviane M., 6 juillet 1959.

84.

AN, 19880446/17/3, dossier 1701, PV Clarisse L., 19 avril 1960.

85.

AN, 19880446/20/2, dossier 1967, Rapport au chef du SRPJ, Lille, 16 septembre 1960.

86.

AN, 19880446/18/2, dossier 1815, Rapport au chef du SRPJ, Reims, 5 mai 1960.

87.

AN, 19880509/2/1, dossier 3016, PV Marie S., 2 août 1961.

88.

AN, 19880509/7/1, dossier 3587, Rapport au chef de la section de sécurité, 19 mars 1962.

89.

Leïla Aouchal souligne qu'au restaurant « nous étions le point de mire de toute la salle et, assurément, le sujet principal des conversations » (Une autre vie, 16).

90.

AN, 19880446/15/2, dossier 1483, PV Pierrette D., 9 janvier 1960.

91.

AN, 19880446/21/1, dossier 2036, PV Jeanne L., 13 juillet 1960.

92.

AN, 19880509/4/1, dossier 3227, PV Annie S., 24 septembre 1961.

93.

AN, 19880446/11/1, dossier 1077, Rapport au chef du SRPJ, Strasbourg, 1er mars 1960.

94.

AN, 19880446/29/3, dossier 2721, PV Renée R., 17 avril 1961.

95.

Que l'intime soit politique, il n'est plus question d'en douter, comme l'illustrent tous les travaux sur l'histoire des sexualités. Voir Stoler, La chair de l'empire et « Matters of Intimacy as Matters of State » ; et aussi Steinberg, Une histoire des sexualités.

96.

Sur ces positionnements, lire MacMaster, « Role of European Women ». Pour le FLN, lire Saadia et Lakdar, L'aliénation colonialiste.

97.

Sur Emilie Busquant (1901–53), militante anticolonialiste, oratrice, dessinatrice du drapeau algérien et son éviction des mémoires de son mari, on lira Louis, « A propos des Mémoires de Messali Hadj ».

98.

Cité par MacMaster, « Role of European Women », 374.

99.

AN, 19880446/20/1, dossier 1930, Rapport au directeur des Services de PJ, Angers, 8 avril 1960.

100.

 Entretien Claudie T., Alger, 18 mars 2012.

101.

 Dans l'ordre : AJM, TPFA Lyon, jugements n°251/2847, 22/2913 et 167/3058.

102.

 AN, 19880446/7/2, dossier 688, Rapport au chef du SRPJ à Strasbourg, 12 août 1959.

103.

 AN, 19880446/14/3, dossier 1434, PV Eliane P., 19 mars 1960.

104.

 AN, 19880509/3/3, dossier 3164, PV Odette D., 24 octobre 1961.

105.

 AN, 19880446/19/3, dossier 1891, Rapport au commissaire principal, Bordeaux, 13 mai 1960.

106.

 En prison, les compagnes d'Algériens semblent vivre dans un entre-deux difficile. D'après Hélène Cuenat, l'une d'entre elles « n'arrivait pas à se sentir à l'aise avec nous, ni avec les Algériennes, ni avec les Françaises », dans Cuenat, La porte verte, 134.

107.

 AJM, TPFA Lyon, jugement n°40, 10 mars 1961, Lettre Maria Z., 21 octobre 1960.

108.

 AJM, TPFA Lyon, jugement n°38/2238, Christiane B., 27 février 1958.

109.

 Entretien avec Yolande M., Alger, 23 mars 2012.

110.

 Lyon, Archives Départementales du Rhône (désormais ADR), 437W154, Le procureur de la République à Lyon au directeur des prisons, Lyon, 27 juin 1959. Anne-Marie Louanchi fait le récit de son mariage à Fresnes dans Salah Louanchi, 100–101.

111.

 AJM, TPFA Lyon, jugement n°143/2739, Lettre de Josette A., Montluc, 31 août 1959.

112.

 AN, 19880509/3/3, dossier 3171, PV Andrée B., 12 septembre 1961.

113.

 AN, 19880446/21/1, dossier 2036, Rapport au chef du SRPJ de Lille, 8 août 1960.

114.

 AN, 19880446/7/2, dossier 674, Rapport au chef du SRPJ Marseille, 31 octobre 1959.

115.

 AN, 19880446/12/2, dossier 1182, PV Bernadette B., 6 octobre 1959.

116.

 AN, 19880446/18/1, dossier 1730, PV Gisèle C., 21 mars 1960.

117.

 AN, 19880446/11/1, dossier 1077, PV Régine P., 25 août 1959.

118.

 AN, 19880446/1/2, dossier 27, Rapport au commissaire divisionnaire, Strasbourg, 28 juillet 1960.

119.

 En droit français, les concubines ne sont pas reconnues comme héritières.

120.

 AN, 19760140/152, dossier 58/078, Loucif B., Meurtre, 1958.

121.

 AN, 19760140/152, dossier 58/105, Abdelkader M., Meurtre, 1958.

122.

 AN, 19760140/237, dossier 59/1301, Moussa G., Meurtre, 1959.

123.

 Un premier travail universitaire a été mené sur ces dossiers : Haquet, « La mort des Algériens en Seine-Maritime entre 1952 et 1962 », 87.

124.

 AN, 19880509/2/2, dossier 3041, Rapport au sous-chef du SRPJ, Lille, 8 décembre 1961.

125.

 AN, 19880509/8/2, dossier 3824, Rapport de police, février 1962.

126.

 AN, 19880446/9/1, dossier 860, Rapport de police, juin 1959.

127.

 AN, 19880446/1/3, dossier 54, PV Ahmed T., juillet 1958.

128.

 AN, 19880446/6/1, dossier 562, Rapport au chef du SRPJ, Lille, 11 avril 1959. Sur ces meurtres de femmes, lire André, « Quand le Front de libération nationale exécutait ses “ sœurs ” ».

129.

 AN, 19880446/22/3, dossier 2178, Rapport au chef du SRPJ, 12 octobre 1960.

130.

 ADR, 248W118, dossier individuel de reconnaissance de la nationalité française, Ahmed A., 15 mai 1965.

131.

 Déjeux, Image de l’étrangère, 50–51.

132.

 AN, 19880509/3/1, dossier 3099, PV Pierrette I., 24 août 1961.

133.

 Louanchi, Salah Louanchi, 115.

134.

 MacMaster, « Role of European Women », 384.

135.

 C'est en 1984 que l'affaire est devenue politique par l'appel public de mères françaises en détresse. Lire Surkis, « Custody Battles ».

136.

 ADR, 248W118–135, dossiers individuels de reconnaissance de nationalité française.

137.

 ADR, 248W118, dossiers Belkacem A., 11 septembre 1964, et Rabah A., 13 novembre 1963 ; ADR, 248W135, dossier Saddok Z.

138.

 Haddad, L’élève et la leçon.

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