Précis
Bien que le terme démocratisation ait été utilisé à l'époque de Jules Ferry pour désigner l'intervention de l'Etat en faveur de l'élargissement du public de la culture, les historiens ne le retiennent pas dans leurs études de la période. Bien plus, ils invoquent l'illégitimité supposée de l'Etat pour disqualifier toute prétention à une politique culturelle. Ce désaveu, il est montré, résulte d'une conception étroite de l'action culturelle, qui ne peut intégrer le principe d'une politique qui démocratise et discrimine tout à la fois. L'article analyse la politique culturelle de Ferry pour mettre en évidence les principes de justice républicains. Il examine la relation que le principe de l'égalité des citoyens et le principe d'utilité ont pu entretenir. Il conclut que le principe de l'égalité des citoyens n'était pas un principe prioritaire pour Ferry mais plutôt un principe dont l'application était soumise à un calcul d'utilité.
Although the word democratization was used at the time Jules Ferry was minister of public instruction and fine arts to describe state attempts to socially diversify the public of cultural institutions, historians have paid little attention to it. Further, they have contended that the perceived illegitimacy of the state prevented it from carrying out an effective cultural policy. This article argues that this dismissive view results from a narrow definition of state intervention in the arts that cannot accommodate the idea of a policy that would both democratize and discriminate. The article examines Jules Ferry's cultural policy so as to shed light on republican principles of justice. Rejecting the idea of a contradiction marring the republican discourse, it investigates the relationship between the principle of citizens' equal rights and the utility principle. It comes to the conclusion that the principle of citizens' equal rights was not a priority principle for Ferry but a principle whose implementation was subordinated to a utility calculus.
Jules Ferry fut ministre de l'instruction publique et des beaux-arts entre 1879 et 1883. A ce poste, il entreprit de démocratiser l'art selon des principes qui justifiaient de traiter les individus différemment du fait, premièrement, de leurs inégales aptitudes et, deuxièmement, des bénéfices escomptés de ce traitement différentiel pour la communauté. Envisageant l'égalité comme un droit, les historiens ont souvent considéré que ces pratiques discriminatoires révélaient des contradictions au sein du discours républicain. Dans cet article, nous proposons de dépasser le constat de contradictions grâce à une enquête dans le domaine de la théorie normative. Nous montrons que les républicains avaient une conception utilitariste de la justice qui leur faisait envisager l'égalité non comme un droit mais comme un moyen d'augmenter le bien-être de la communauté1.
A l'époque de Ferry, la démocratisation de l'art est un concept familier. On l'utilise pour désigner aussi bien l'entrée en masse du public populaire sur le marché des biens culturels que l'action de l'Etat en faveur de la plus grande accessibilité des institutions placées sous sa responsabilité. Pourtant les historiens ont rarement retenu le mot associé à ce contexte. Si Julia Csergo parle d'une « démocratisation des activités de loisir »2, Jean-Yves Mollier ou Dominique Kalifa lui préfèrent les termes de « culture de masse »3 et de « régime “ médiatique ” »4. Quant aux spécialistes des politiques publiques, ils n'envisagent pas une démocratisation culturelle à l'initiative de l'Etat. Ils estiment que les gouvernements républicains de la fin du dix-neuvième siècle n'avaient pas de projet suffisamment cohérent pour servir de fondement à une politique culturelle.
Dans son livre pionnier sur l'Etat et les arts en France de 1870 à 1940, Marie-Claude Genet-Delacroix donne une explication à cette réserve. Les fondateurs de la Troisième République n'auraient pas mené de politique culturelle—ils se seraient contentés de piloter un système d'institutions—car leur culture politique libérale les en aurait empêchés.5 Dans son enquête sur L'Etat et la culture en France au XXe siècle, Philippe Poirrier reprend cette hypothèse à son compte. Il affirme qu'une logique libérale s'imposa durablement après 1880. Selon lui, il fallut attendre le Front populaire « pour que l'Etat infléchisse sensiblement la manière de concevoir les modalités de son intervention »6. Mais ce n'est qu'avec la création d'un ministère des Affaires culturelles en 1959 qu'une véritable politique culturelle se fit jour.
En fin de compte, les dirigeants de la Troisième République auraient suivi « une ligne médiane » : « ni le dirigisme des arts, ni l'abandon des artistes à leur sort, mais le soutien des artistes de toutes tendances, sans privilégier une école ou un style »7. Cet éclectisme, interprété par Poirrier comme le refus de prendre position par crainte d'encourager des artistes qui ne le mériteraient pas, rejoint l'aveu d'incompétence que Vincent Dubois décèle dans les discours des hommes politiques de la fin du dix-neuvième siècle. Le sociologue fait l'analyse suivante : « Une intervention limitée et circonspecte, des formes de justification contingentes, des formes institutionnelles incertaines et des rôles politiques et administratifs mal établis : l'illégitimité d'une politique artistique s'inscrit dans des pratiques, des institutions et des positions contraintes »8.
Au vu de la hausse des crédits affectés aux Beaux-Arts sous le ministère Ferry, on pourrait déjà contester le fait que l'Etat serait resté sur la réserve. Mais plus encore, c'est l'idée d'un Etat en manque de légitimité qui sonne faux. Le rapport sur le programme d'un cours de morale dans les écoles normales présenté au Conseil supérieur de l'Instruction publique en 1880 en donne une preuve parmi d'autres. Dans ce rapport, le philosophe Paul Janet témoigne des fortes convictions républicaines en matière esthétique. Il déclare certes que « l'Etat ne doit pas imposer à ses professeurs, ni s'imposer à lui-même une orthodoxie étroite en matière littéraire : défendre à un professeur, par exemple, d'admirer Shakespeare et ne lui permettre que l'admiration de Virgile et de Racine serait complètement absurde »9. Mais pour ajouter aussitôt : « quelque large que puisse être l'éclectisme de l'Etat, il y a cependant un principe sous-entendu, et sans lequel il n'y aurait plus d'éducation littéraire, c'est qu'il y a des œuvres belles et d'autres qui ne le sont pas, des œuvres élevées et sublimes et des œuvres basses, plates et grossières : et si l'Etat devait être absolument indifférent en matière littéraire, quelle raison aurait-il de se donner tant de mal, de dépenser tant d'argent, de s'imposer une administration aussi accablante ? ». L'éclectisme ici n'est pas synonyme d'incapacité à choisir mais de liberté laissée aux enseignants. Il est une façon pour l'Etat de reconnaître la diversité des expressions du beau. En outre, Janet insiste bien sur le fait que la mise au programme d'une œuvre et par extension l'intervention de l'Etat en faveur d'un auteur ou d'un artiste ont valeur de caution. L'Etat se pose donc bien comme l'arbitre du goût.
De même que les contemporains utilisaient le terme démocratisation et que les historiens du vingt-et-unième siècle n'enregistrent pas cet usage, il semblerait que les contemporains s'attribuaient une légitimité que nous ne leur reconnaissons pas. Il faut donc se demander non seulement pourquoi les historiens écartent le terme démocratisation lorsqu'ils analysent les politiques culturelles de la fin du dix-neuvième siècle, mais également pourquoi l'intervention des gouvernements républicains leur paraît marquée du sceau de l'illégitimité. Les deux questions en fait se rejoignent. Elles renvoient à la manière dont les chercheurs définissent l'action culturelle. Prenons par exemple la typologie dressée par Jean-Claude Passeron dans son ouvrage Le raisonnement sociologique. Celui-ci distingue trois modèles de l'action culturelle. Avec le premier modèle, il s'agit de « convertir l'ensemble d'une société à l'admiration et à la consommation des œuvres consacrées par la critique savante ou les connaisseurs cultivés, en se donnant pour objectif de faire pratiquer au plus grand nombre la fréquentation et le culte des œuvres déjà “ légitimes ” »10. Le deuxième modèle consiste à réhabiliter les cultures populaires. Enfin, le troisième modèle s'essaie à « transformer les formes de production et de diffusion des œuvres jusqu'à instaurer un champ d'interactions sociales et symboliques, où la frontière entre une culture d'élite et une culture partagée par tous se trouverait abolie »11. Aucun de ces modèles ne s'applique à la politique menée par Ferry. En effet, loin de vouloir mettre la culture de l'élite à la disposition du plus grand nombre, Ferry se faisait le chantre d'une culture populaire officielle. Par ailleurs, la démocratisation de l'art telle qu'il la conçut et mit en œuvre était indissociable d'une mission éducative. Comme nous le montrerons dans la suite de cet article, la discrimination était au cœur de son projet de démocratisation. Reconnaître l'existence d'une politique culturelle ainsi que la légitimité de ceux qui la mirent en œuvre à la fin du dix-neuvième siècle nécessite par conséquent d'accepter cette alliance au premier abord surprenante. Et c'est ce que nombre d'analystes, emboîtant le pas à Passeron, se sont refusé à faire.
Plus connu pour sa politique scolaire ou coloniale, Ferry a néanmoins eu une influence décisive dans le domaine culturel12. Son ministère (1879–1883) occupe une place particulière dans l'histoire de la démocratisation des arts13. Sous le Second Empire, le conservateur au Louvre et membre du jury de l'Exposition universelle à Londres, Léon de Laborde, parlait des « voies ouvertes à l'action légitime et obligée de l'Etat », à savoir : « l'enseignement pratique des arts imposé à toute la nation, comme l'enseignement littéraire, avec les conditions qui sont spéciales à sa nature ; l'enseignement supérieur des arts, réservé à ceux qui consacrent leur vie à cette carrière et ramené aux règles données par les maîtres, dans la voie de l'idéal le plus élevé ; le maintien du goût public, et qui dit maintien entend une épuration continue »14. Laborde entendait que l'éducation artiste de la nation contribuât au progrès des arts et de l'industrie, et finalement à la gloire du pays. L'idée fut reprise par Edouard Charton, le grand promoteur des bibliothèques populaires et de la vulgarisation scientifique, futur sénateur de la Gauche républicaine, dans le rapport qu'il soumit à l'Assemblée nationale en 1875. Il y reconnaissait en effet le droit des beaux-arts à la sollicitude de l'Etat, « parce qu'ils répondent réellement à un besoin général, en tendant à développer dans le pays entier le sentiment et l'amour du beau, dont une nation ne saurait se désintéresser impunément, soit pour le progrès de sa civilisation, soit pour sa gloire »15. Il revint toutefois au prédécesseur de Ferry aux Beaux-Arts, Agénor Bardoux, d'étendre le champ d'action de l'Etat au-delà de l'enseignement généralisé du dessin. En plus de rendre les cours de dessin obligatoires à partir de la classe de sixième et de soutenir les créations d'écoles et de musées d'art industriel, Bardoux obtint en effet le vote de subventions pour les concerts populaires et réfléchit à un projet de théâtre lyrique populaire. Mais, de même que Laborde et Charton, il mettait les institutions culturelles populaires au service de la gloire nationale. Avec Ferry, l'objectif cessa d'être uniquement l'excellence artistique du pays. D'une part, les républicains ne voulaient plus obtenir la paix sociale par les cajoleries ou la menace et cherchèrent à convaincre les citoyens du bien-fondé de leurs principes. Comme l'art était porteur d'un message moral, ils le firent participer à cette entreprise. D'autre part, les républicains ne pouvaient complètement ignorer les appels à l'équité ou les vœux de la population. L'art, dans ces conditions, ne pouvait demeurer l'exclusivité d'un petit nombre. Ainsi, dans le même temps où l'Etat prit ses distances vis-à-vis du cursus honorum des artistes, retirant notamment son soutien au Salon et au Théâtre-Lyrique, il se concentra sur sa mission démocratique.
Le ministère de Ferry correspond à un moment charnière pour une autre raison. Il se situe au début de la République des républicains, lorsqu'après une décennie de gouvernements conservateurs, les opportunistes accédèrent au pouvoir et furent enfin libres de réaliser leur programme. Période exploratrice donc et ce d'autant plus que les républicains n'étaient pas liés à une idéologie en particulier. François Furet note par exemple que Ferry n'était pas seulement un républicain, un partisan du suffrage universel et d'une Assemblée investie de la souveraineté populaire16. Il était aussi un positiviste et, à ce titre, hostile à l'idée de la souveraineté du peuple17. Furet montre également que Ferry était à la croisée d'une tradition libérale, portée à défendre une idée de la liberté fondée sur la non-intervention du gouvernement, et d'une tradition républicaine, où la liberté est davantage synonyme de non-domination18. Enfin, comme l'a montré Odile Rudelle, le fait que les républicains modérés privilégièrent une alliance avec les radicaux de préférence à une alliance avec les conservateurs eut pour effet d'empêcher l'alternance au pouvoir19. Les républicains furent donc à leur aise pour interpréter la volonté populaire et promouvoir leur conception de l'intérêt général.
Dans le cadre de cet article, nous nous contenterons d'analyser les discours d'hommes politiques sur la question de la démocratisation artistique au début des années 1880. Nous nous abstiendrons d'enquêter sur la mise en œuvre de la politique de Ferry. De même, nous limiterons l'étude aux attributions du ministre des beaux-arts (peinture, sculpture, gravure, architecture, musique, théâtre, correspondant à des interventions dans des domaines aussi variés que les expositions, décorations d'édifices publics, établissements d'enseignement, musées, manufactures, monuments historiques, encouragements et secours) plutôt que d'envisager la politique culturelle dans son ensemble (ce qui inclurait la littérature par exemple). Les sources consultées sont principalement les débats à la Chambre (les sénateurs furent peu diserts sur le budget des Beaux-Arts durant la période) et au Conseil municipal de Paris. L'article est divisé en trois parties. Dans la première partie, nous nous penchons sur la façon dont la démocratisation des arts fut justifiée entre 1879 et 1883. Dans la deuxième partie, nous étudions la façon dont les différents objectifs de la politique culturelle furent hiérarchisés et coordonnés par l'administration des Beaux-Arts. Enfin, dans une troisième partie, nous analysons les critiques de la démocratisation et leurs interactions avec le discours du gouvernement.
Les raisons d'une démocratisation
La démocratisation des arts n'était pas une idée neuve sous la Troisième République. Sous le Second Empire, les autorités notaient déjà que les théâtres subventionnés (notamment l'Opéra, l'Opéra-Comique, la Comédie-Française et l'Odéon) étaient surtout fréquentés par une élite et s'interrogeaient pour savoir s'il fallait ouvrir leurs portes à un public plus large. Une partie non négligeable de la population montrait en effet un intérêt pour le grand art. A en croire l'auteur d'un rapport au ministre des beaux-arts Maurice Richard, « le succès des concerts de M. Pasdeloup et des matinées de M. Ballande a prouvé suffisamment que si les classes inférieures fréquentaient les cafés-concerts plutôt que l'Opéra et le Conservatoire, ce n'était pas faute de goût pour l'art élevé, mais faute de moyens, et aussi faute d'un milieu en rapport avec leurs manières, leurs habitudes et leurs mises »20. Le fait que les classes « inférieures » étaient exclues des théâtres officiels pour des raisons économiques n'était toutefois pas perçu comme une injustice. Plutôt qu'un problème de droit, l'inégalité de fréquentation soulevait un problème de police, puisque, aux yeux des autorités bonapartistes, un besoin laissé insatisfait pouvait donner lieu à un mouvement de protestation. De même que les inspecteurs de théâtre avaient surveillé la qualité des spectacles pour contenir d'éventuelles manifestations du public jusqu'à ce que la liberté industrielle fût proclamée en 1864, les fonctionnaires de la fin de l'Empire réfléchirent aux moyens d'aider les plus démunis à assister aux spectacles de leur choix pour désamorcer leurs velléités de critique21. L'obstacle sur lequel ils butèrent et qui explique qu'aucune initiative de diffusion artistique ne fut prise tant que le régime dura était le système d'équivalences qui structurait la société d'alors. Dans ce système en effet, on ne pouvait baisser le prix des billets d'entrée sans jeter un doute sur la qualité de la représentation ou encore sans tromper les individus sur leur réelle position dans la hiérarchie sociale22. L'idée de démocratisation était en fin de compte étrangère à un régime qui s'effrayait de la mobilité des individus.
Bien que les républicains fussent également attachés à maintenir un certain ordre social, ils n'envisageaient pas la démocratisation dans les mêmes termes que leurs prédécesseurs. D'une part, ils se reconnaissaient dans le principe d'égalité. Et même si la réalisation de ce principe était soumise à des considérations d'opportunisme, du moins chez les plus modérés d'entre eux, ceux qui gravitaient autour de Ferry, l'égalité de traitement constituait néanmoins un standard à l'aune duquel l'action politique était jugée. Notamment, puisque tous les citoyens contribuaient par l'impôt à l'entretien des théâtres officiels, il semblait juste que tous pussent y avoir accès. A contrario, s'il était démontré qu'une dépense ne pût jamais bénéficier à un contribuable, sa légitimité était mise en question. Le manque de diversité sociale du public des théâtres officiels pouvait donc aussi bien justifier la suppression des subventions aux institutions d'élite que la poursuite d'un programme de démocratisation. En 1879, par exemple, le député Jean David demanda la suppression des subventions à l'Opéra en s'appuyant sur le fait que la population rurale n'assistait pas aux spectacles qu'elle contribuait à financer :
La question est de savoir encore si, sous prétexte que les arts donnent au peuple le sentiment du beau et réagissent ainsi favorablement sur les mœurs, sur ses coutumes et sur son industrie, le droit du législateur ira jusqu'à ébrécher le salaire de l'artisan pour constituer un supplément de profit à l'artiste—c'est toujours Bastiat qui parle—et de savoir s'il est juste, comme le disait aussi un économiste, M. de Molinari, de taxer les paysans de la Bretagne et de la Gascogne pour subventionner des théâtres auxquels ils n'assisteront jamais23.
D'autre part, la Troisième République avait maintenu le suffrage universel masculin et, à ce titre, ne pouvait ignorer les demandes de ses électeurs. Le député opportuniste Louis Hémon déclarait à ce sujet en 1879 : « Oui, le goût de l'art se généralise en France, je dirais volontiers qu'il se démocratise. Et vous n'avez pu manquer de vous dire en même temps que plus l'art prend une place large et profonde dans la société actuelle, plus l'Etat doit sentir croître les obligations qu'il a vis-à-vis de lui »24. Le souci de justice ainsi que celui de répondre aux attentes de la population justifiaient amplement le projet de démocratisation.
Malgré cela, les avancées démocratiques en matière culturelle furent limitées entre 1879 et 1883, dates où Ferry eut la charge des Beaux-Arts. Même si le ministre affichait une volonté de démocratiser, il avouait lui-même que ses initiatives concernaient des domaines bien précis : « Ainsi, nous ne pouvons rien ou presque rien pour diriger ; mais, Messieurs, nous pouvons beaucoup pour propager, et c'est là que commence le rôle et la véritable fonction d'un gouvernement ; l'art se propage de deux façons, par l'enseignement et par les musées »25. De fait, l'énergie déployée au service des beaux-arts contrastait avec la modestie des initiatives en faveur de la musique et, plus encore, avec la relégation du théâtre. Tandis que l'apprentissage du dessin était rendu obligatoire à l'école et qu'une nouvelle méthode d'enseignement était adoptée, la musique ne fit jamais l'objet d'un consensus pédagogique et les représentations dramatiques furent tout bonnement interdites26. La création d'écoles et de musées d'art industriel ainsi que d'écoles de beaux-arts dans les départements eut son équivalent quelques années plus tard avec le développement des succursales du Conservatoire de musique27. Par contre, on ne parla pas d'étendre l'enseignement du théâtre et il resta confiné au seul Conservatoire de déclamation. Enfin, Ferry décida l'ouverture de deux musées populaires au palais du Trocadéro (le musée ethnographique et le musée de sculpture comparée) et, n'était la résistance opiniâtre des parlementaires, aurait également augmenté les crédits aux musées et expositions de province28. En matière de théâtre et de musique, quelques aides furent votées au profit des concerts populaires et des matinées littéraires. Cependant les projets d'Opéra populaire et de Théâtre dramatique populaire en restèrent au stade de l'ébauche et les représentations populaires censées prendre place dans les théâtres officiels furent d'autant plus efficacement combattues par les directeurs que la réputation de leur établissement était prestigieuse.
Ainsi, la politique menée par Ferry ne consistait ni à élargir le public de la culture de façon systématique ni à corriger les inégalités de fréquentation les plus criantes. Il ne fut jamais question pour lui de chercher tout à la fois « à accroître le nombre de pratiquants, à réduire les disparités entre catégories de population et à faire des nouveaux conquis un public à la fois connaisseur et régulier, semblable au public en place »29 comme le fit l'équipe constituée autour d'André Malraux au début des années 1960. Pour preuve, Ferry voulait multiplier le nombre de musées populaires alors qu'il considérait le Louvre comme étant déjà « le musée de la nation et particulièrement le musée de ce peuple de Paris »30. Inversement, il enterra les projets de théâtre lyrique et de théâtre dramatique populaires bien que le caractère élitiste du public de l'Opéra et de la Comédie-Française ne fît de mystère pour personne. Faut-il en conclure que la démocratisation des arts n'était au fond pas la préoccupation de Ferry ? On se rangerait alors à l'avis de ces historiens qui perçoivent une contradiction dans le discours républicain entre la proclamation de l'égalité des individus et des pratiques discriminatoires31. Mais ce serait faire peu de cas des déclarations de Ferry, qui ne portent pas trace de cette contradiction. Ferry, en effet, n'oppose pas une égalité que les gouvernements républicains auraient reconnue en droit à une égalité qu'ils se seraient refusé à traduire dans les faits. Son discours sur l'égalité d'éducation en fournit un bon exemple32. Dans cette conférence populaire faite à la salle Molière le 10 avril 1870, Ferry prononça un fervent plaidoyer en faveur de l'éducation des femmes. Toutefois, il n'invoqua pas le droit des femmes à recevoir une éducation en vertu d'une égalité de principe. Dans son esprit, l'égalité d'éducation obéissait à des motifs purement utilitaires. Elle était le moyen de mettre fin à la discorde dans les foyers. Finalement, la conception que Ferry se faisait de l'égalité répondait bien moins à un principe d'équité qu'à un principe d'utilité. Selon elle, les gouvernements républicains étaient tenus d'accorder l'égalité dans la mesure où elle promouvait l'intérêt général. Dans le cas contraire, ils devaient s'abstenir.
La gestion des utilités
A la fin du dix-neuvième siècle, les républicains envisageaient la démocratisation des arts non comme une politique qui permît d'inscrire l'égalité des droits dans les faits—même si, encore une fois, l'égalité représentait bien un horizon—mais plutôt comme une source possible d'accroissement du bien-être de la communauté. L'art pouvait contribuer à l'éducation de la nation (qu'on pense à l'éducation du peuple, des artistes, ou des ouvriers) et, en fin de compte, à la gloire de la nation (en termes d'excellence artistique et de supériorité économique notamment). La politique de démocratisation restait néanmoins d'un maniement délicat car l'utilité qui s'en dégageait n'était pas automatiquement positive. Pour qu'elle fût profitable en effet, l'offre artistique devait correspondre au profil du public. Ainsi, l'ouvrier formé à l'art industriel pouvait aider la France à sortir victorieuse de la confrontation économique avec les autres pays. Par contre, une éducation teintée de beaux-arts donnée à ce même ouvrier ne pouvait créer qu'un mécontent, puisque, sauf exception, l'ouvrier n'avait pas le talent nécessaire pour devenir un véritable artiste. De même, une œuvre sans contenu didactique proposée à un public populaire pouvait être mal interprétée et potentiellement causer du désordre.
La politique de démocratisation était encore d'un maniement délicat dans la mesure où les différents objectifs relevant de l'éducation et de la gloire de la nation pouvaient entrer en concurrence l'un avec l'autre. Malgré l'augmentation significative du budget des Beaux-Arts entre 1879 et 1882 (durant cette période, le budget passa de 7,5 à 8,2 millions de francs, soit une augmentation de 10 pour cent), les parlementaires s'inquiétaient régulièrement de ce qu'ils appelaient la dispersion des crédits33. Ainsi le rapporteur du budget, Edouard Lockroy, déclarait en 1880 : « C'est avec le plus grand soin que votre commission a voulu examiner ces propositions. Elle redoutait les nouveautés qui en matière de beaux-arts ne sont pas toujours très heureuses ; elle craignait encore, si elle disséminait ces ressources, comme on le lui demandait, de ne satisfaire aucun besoin d'une manière sérieuse, bien qu'en essayant de pourvoir à tout »34.
La crainte de disperser les crédits portait essentiellement sur les projets de décentralisation. Lockroy, par exemple, était réticent à l'idée d'inscrire des crédits au chapitre des concerts populaires et sociétés musicales de province35. Il craignait en effet de voir les demandes de subvention affluer et le ministère dans l'impossibilité de les refuser. « Bientôt, si l'on se laissait entraîner sur cette pente, on subventionnerait toutes les sociétés musicales de France », notait-il. Lockroy était aussi convaincu que ces subventions devaient être données par les municipalités et non par l'Etat, car les sociétés musicales de province, au contraire de leurs homologues parisiennes, avaient un rayonnement purement local36. Rejetée par la commission, la proposition resurgit finalement en séance sous la forme d'un amendement et fut adoptée par la Chambre37. La persévérance de Ferry fut donc récompensée. Toutefois, en 1883, lorsque la commission chargée d'organiser l'enseignement musical rendit son rapport, elle écarta résolument les sociétés instrumentales, chorales, fanfares et orphéons de la liste des établissements d'éducation38. Cet exemple montre bien la vulnérabilité des projets dont la valeur éducative n'était pas établie. Pour autant, ceux dont les vertus pédagogiques étaient mieux assises n'échappaient pas au soupçon de dilapidation. Dans l'esprit de nombreux républicains, par exemple, le financement des musées de province, censés participer de l'éducation du public populaire, allait à l'encontre du développement des musées nationaux, jugés plus directement responsables de l'excellence artistique du pays.
Ferry et ses collègues essayèrent de contourner la difficulté en mettant les institutions plus spécialement chargées de l'éducation populaire au service de l'excellence artistique. C'est ainsi qu'ils enrichirent les collections des musées de province grâce à un système d'acquisitions d'œuvres et de commandes passées auprès d'artistes vivants39. Dans un autre registre, le théâtre populaire fut pensé comme une scène destinée à accueillir les jeunes artistes. En prenant la forme d'un théâtre d'application, le théâtre populaire servait à la fois à l'éducation des futures vedettes, qui à terme apporteraient la gloire au pays, et à l'éducation du peuple, qui ne manquerait pas d'être édifié par la vision d'un spectacle moral et patriotique40. Ce fut la thèse défendue par le sénateur Ferdinand Hérold dans son rapport du 18 janvier 1879 sur la question du Théâtre-Lyrique et que Ferry reprit à son compte dans le projet de loi déposé le 18 mars 1879 à la Chambre des députés. Suivant les recommandations formulées par Hérold, Ferry sollicitait une subvention de 200 000 francs pour financer « une sorte de théâtre d'application, régi par l'Etat, intermédiaire entre le Conservatoire et les théâtres subventionnés »41. Cette tentative de cumul des utilités se heurtait au problème de la compatibilité des projets. En ce qui concerne les musées, certains parlementaires craignaient d'entretenir le mauvais goût en province si seules les toiles de second ordre y étaient envoyées. Pour ce qui est des théâtres, le « peuple » se satisfaisait mal d'acteurs débutants et d'auteurs obscurs et réclamait le répertoire de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. Ainsi, aussi longtemps que les théâtres lyriques subventionnés conservèrent leur monopole sur le répertoire, le Conseil municipal de Paris repoussa les offres de collaboration du ministère des Beaux-Arts pour fonder un théâtre populaire. En 1880, le sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts, Edmond Turquet, résumait la situation devant la Chambre des députés :
Le Conseil municipal, appelé à délibérer sur la question, a résolu d'offrir au Gouvernement, comme subvention pour le Théâtre d'opéra populaire, 1° la location de la salle ; 2° l'éclairage, mais à une condition : c'est que le répertoire de l'Opéra national et celui de l'Opéra-Comique seraient concédés gratuitement à ce théâtre d'opéra populaire. Or, toutes les négociations entamées à ce sujet par le sous-secrétaire d'Etat des Beaux-arts avec MM. les directeurs de l'Opéra et de l'Opéra-Comique n'ont pu aboutir. Le Conseil municipal, ainsi que me l'a annoncé une dépêche de M. le préfet de la Seine, en date du 21 mai 1880, renonce, quant à présent, à accorder une subvention au Théâtre d'opéra populaire42.
A défaut d'Opéra populaire, Turquet promit au récemment nommé préfet de la Seine Hérold et aux délégués du Conseil municipal de Paris venus le rencontrer en janvier 1880 qu'il demanderait une subvention au Parlement en faveur d'un « théâtre populaire municipal de drame ». Cependant, aucun projet de théâtre de drame ne fut soumis aux Chambres43. Ainsi, la dénonciation des mesures discriminatoires par les conseillers municipaux de Paris ne fit pas ciller la direction des Beaux-Arts. Après avoir mollement tenté de convaincre les directeurs des théâtres subventionnés de mettre leur répertoire à la disposition de tous, celle-ci mit tout simplement fin au projet de collaboration avec la Ville de Paris.
Le fait que la démocratisation sous Ferry était régie par un principe d'utilité plutôt que par un principe d'équité avait deux conséquences importantes. D'une part, la démocratisation n'avait pas de rapport nécessaire avec la décentralisation et, d'autre part, elle était indissolublement liée à la discrimination. Que la démocratisation n'ait pas de rapport nécessaire avec la décentralisation se comprend si l'on considère que les républicains voyaient dans la décentralisation un danger pour l'excellence artistique du pays et dans la centralisation un vecteur possible, voire même nécessaire, de l'éducation du peuple. En 1882, le rapporteur du budget Jules Roche justifiait ainsi le financement massif de quelques institutions d'élite en affirmant que le grand art se diffusait du haut vers le bas. Le député radical converti à la cause gambettiste s'exprimait ainsi à la Chambre :
De même que vous avez besoin pour vos maîtres d'écoles de professeurs d'école normale, et que pour former ces professeurs vous avez besoin de ce qui est la source de toute science et de tout enseignement, de l'école normale, du collège de France, des facultés, parce que l'enseignement descend de haut, de même vous avez besoin pour démocratiser l'art,—et c'est ce que vous voulez, j'ai entendu cette parole dans votre bouche, et je la retiens,—vous avez besoin d'un haut enseignement supérieur artistique. De même qu'il faut des musées où l'on apprenne à comprendre et à sentir toute la beauté des chefs-d'œuvre de l'art, dans la sculpture, dans la peinture, dans ces mille objets délicats et merveilleux que nous ont légués l'antiquité et la Renaissance, de même il nous faut pour l'art musical et dramatique des écoles supérieures, des musées ; eh bien, ces écoles et ces musées, ce sont nos théâtres nationaux44.
Que la démocratisation soit par ailleurs indissolublement liée à la discrimination s'explique par le fait que, dans l'esprit des républicains, l'excellence artistique du pays s'incarnait dans quelques institutions de prestige. Puisque l'excellence artistique était jugée à ce que le pays pouvait produire de meilleur et non à ce qu'il produisait dans son ensemble, il n'était nul besoin de couvrir le pays d'institutions culturelles. Il suffisait de faire en sorte que les talents artistiques puissent se développer convenablement. Si l'Etat décidait malgré tout de financer la création d'institutions culturelles en province, cette création répondait à un autre besoin, celui d'éduquer les masses. La démocratisation prenait alors le visage de la discrimination puisqu'elle traitait le peuple et l'élite différemment, en fonction de leurs aptitudes supposées. Tandis que le peuple devait se perfectionner, on exigeait simplement de l'élite qu'elle fît la preuve de son raffinement en éprouvant un plaisir esthétique au contact des chefs-d'œuvre. Mais, de même que la logique utilitariste pouvait justifier à la fois la centralisation et la décentralisation, elle pouvait justifier de montrer au public populaire des œuvres de premier ordre comme des œuvres de second ordre. Ainsi, les chefs-d'œuvre avaient peut-être un potentiel éducatif supérieur à celui des œuvres médiocres (la qualité artistique allant de pair avec la valeur morale dans l'esprit des républicains) mais, d'une part, ils devaient pouvoir être appréciés par le spectateur pour produire leurs effets moraux, et d'autre part, ils faisaient une concurrence peu souhaitable aux institutions d'élite.
En fin de compte, Ferry était confronté à deux types de questions. La première concernait le principe de la diffusion culturelle : fallait-il mettre l'art à la portée du peuple par une politique de décentralisation ? La deuxième portait sur les modalités de cette diffusion : fallait-il mettre le grand art à la portée du peuple par la diffusion des chefs-d'œuvre ? Ferry aurait pu trancher facilement en donnant la priorité à la gloire sur l'éducation de la nation, mais voulant ménager le projet éducatif, il dut trouver un compromis. Il opta pour la création d'institutions-miroirs dès lors que l'utilité éducative ne justifiait pas l'ouverture d'écoles sur tout le territoire. Ainsi, pour chaque institution d'élite ou groupe d'institutions d'élite, il imagina une institution populaire. L'Opéra populaire était conçu comme le pendant de l'Opéra et de l'Opéra-Comique, tandis que le Théâtre dramatique populaire faisait pièce à la Comédie-Française et à l'Odéon. En ce qui concerne la qualité des œuvres montrées au public populaire, l'approche était similaire. Puisqu'il estimait le potentiel éducatif des chefs-d'œuvre mais voulait également éviter de grever le budget des institutions de prestige, Ferry recourut à la copie. C'est ainsi qu'il décida la création de deux musées de moulages dédiés l'un à l'histoire antique et l'autre à l'histoire de l'art français, qui se combinèrent finalement pour donner le musée de sculpture comparée45. La copie n'était pas vue comme un problème car elle était investie de la même valeur scientifique que l'original. De plus, elle présentait des avantages évidents dans la mesure où elle permettait d'organiser des comparaisons et de retracer des évolutions. Ainsi, dans le projet initial de 1879, Eugène Viollet-le-Duc envisageait de mettre en regard sculptures égyptiennes, grecques et françaises46. Son but était de prouver la valeur de la statuaire médiévale française. Lorsque les premières salles furent inaugurées en 1882, le projet s'était quelque peu modifié, puisqu'il s'agissait moins alors de comparer la sculpture française avec la sculpture antique que de suivre l'évolution de la sculpture française depuis le Moyen Age47. Toutefois, l'idée d'utiliser la copie à des fins de valorisation du patrimoine national fut conservée.
Finalement, la démocratisation selon Ferry ne consistait pas à organiser l'accès de tous à l'art, mais plutôt à pourvoir chaque groupe social d'une institution qui lui corresponde. Elle n'avait pas pour objet de mettre le peuple en présence de la beauté, mais de faire en sorte que les œuvres d'art délivrent leur message moral et patriotique. Ces termes n'étaient pas forcément acceptés par les interlocuteurs de l'administration des Beaux-Arts. Mais comme Ferry n'était prêt à abandonner ni la cause pédagogique (l'éducation de la nation) ni la cause artistique (la gloire de la nation), les négociations aboutirent à l'échec plutôt qu'au compromis.
Sous le feu des critiques
La politique de démocratisation prônée par Ferry suscita de nombreuses critiques. Il y avait tout d'abord les critiques qui dénonçaient en bloc la démocratisation des arts, parce qu'elles lui contestaient son utilité : soit qu'elles l'accusassent de ternir le prestige de la France (conservateurs), soit qu'elles lui refusassent la priorité sur d'autres politiques publiques (radicaux). Il y avait ensuite les critiques qui rejetaient l'association entre la démocratisation et la discrimination, au motif que le plaisir esthétique était un besoin légitime qui ne devait pas s'effacer devant l'apprentissage de la moralité ou que le traitement discriminatoire trahissait le principe d'équité (gauches modérée et extrême confondues).
Dans les années 1880, le principe de la démocratisation des arts était loin de faire l'objet d'un consensus. A droite, elle était souvent synonyme d'avènement de la médiocrité. Ainsi, lorsque le député bonapartiste Robert Mitchell reprochait au sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts, Edmond Turquet, d'avoir voulu « démocratiser les arts », et en particulier d'avoir voulu « appliquer les principes de 1789 à l'organisation du Salon de peinture », il s'inquiétait de la dégradation des standards artistiques48. Selon Mitchell, seuls les hors-concours « se montraient assez sévères dans le choix des hommes, des sujets, des œuvres de leurs confrères ». Faire élire le jury par des artistes dont le seul titre était d'avoir été trois fois admis au Salon revenait à nier l'importance du mérite. La démocratisation du public, qui nous concerne plus directement ici, était également lourde de menaces pour les conservateurs. Edmond de Goncourt témoigna de ce sentiment dans son journal. A la date du 8 novembre 1891, il notait par exemple : « Ce soir, chez Daudet, longue et triste conversation sur la démocratisation de tout, démocratisation en train d'amener la mort du livre par l'expansion du journal, la mort du théâtre par le triomphe du café-concert »49. Loin de penser que le public populaire était intéressé par le théâtre mais ne pouvait s'y rendre faute de moyens financiers, l'écrivain le rendait responsable du déclin d'un genre50. Chez les conservateurs, plutôt que de désigner une campagne politique menée pour faciliter l'accès des plus démunis à la beauté, la démocratisation signifiait l'irruption sur le marché artistique d'une masse qui foulait aux pieds tous les chefs-d'œuvre.
A l'intérieur des groupes politiques de gauche, il y avait aussi quelques personnes pour s'opposer à la démocratisation de l'art. Celles-là étaient moins soucieuses des effets ravageurs de la démocratisation sur l'excellence artistique de la nation que de son peu d'intérêt pour les classes populaires. Le conseiller municipal radical-socialiste et plus tard député boulangiste Henri Michelin soulignait par exemple que « certainement la musique était une bonne chose, mais qu'il ne manquait pas de besoins plus urgents à satisfaire et que les 300 000 francs [de subvention destinés à l'Opéra populaire par la Ville de Paris] pourraient être mieux employés aux hôpitaux, aux écoles, etc. »51. Pour lui, la musique n'était qu'un divertissement, qui ne justifiait pas que la municipalité s'y intéressât. A la Chambre des députés, les débats autour de l'aliénation des diamants de la Couronne révélèrent une même fracture entre partisans et détracteurs de l'utilité de l'art. Tandis que l'administration des Beaux-Arts, sous l'impulsion d'Agénor Bardoux puis de Ferry, défendait la création d'une caisse de dotation des musées nationaux, Benjamin Raspail (député de l'Union républicaine puis de la Gauche radicale) proposa d'affecter le produit de la vente à une caisse des invalides du travail. Raspail avançait que, les joyaux de la Couronne ayant été achetés avec l'argent du peuple, il était juste que le produit de leur vente profitât à la classe laborieuse. Son collègue Martin Nadaud ajoutait :
Si nous avions donné suite au grand projet de la Convention, qui voulait établir dans toutes les communes de France le grand livre de la Bienfaisance nationale ; si nous avions marché sur les traces de ces hommes de bien, je comprendrais, messieurs, que vous voulussiez affecter les quelques millions dont il est question ici aux travaux d'art. Jamais, depuis que je suis dans les Chambres, je n'ai vu une majorité refuser à un gouvernement les fonds nécessaires pour des créations artistiques, tandis que, de génération en génération, le budget de l'assistance publique reste à peu près le même !52
A quoi les champions de la caisse des musées nationaux rétorquaient qu'elle était une « œuvre éminemment populaire ». Le député de la Gauche républicaine Hippolyte Maze en donnait l'explication :
Est-ce que par hasard on considère nos musées comme de simples lieux de promenade ? Est-ce qu'ils ne sont pas, au premier chef, des écoles, et peut-être les meilleures de toutes, celles dans lesquelles peut le mieux s'exercer la spontanéité du futur artiste, sa force d'assimilation combinée avec son libre génie ? Qui vous dit que cet enfant du peuple qui parcourt les galeries du Louvre ou de Versailles n'en rapportera pas quelque germe fécond d'où sortiront de nouvelles moissons pour l'art français ? Qui vous dit que cet enfant, peut-être étranger à l'art avant ces visites du dimanche à nos grandes collections, n'y prendra pas goût pour jamais et ne deviendra pas quelque jour un Bonnat ou un Baudry ?
Ce n'est pas tout encore ; même au point de vue de l'industrie nationale, est-ce que nos musées ne rendent pas d'incontestables services ? Est-ce qu'ils ne sont pas une sorte d'école supérieure pour nos arts décoratifs ?53
Dans l'esprit de Maze, les musées nationaux étaient populaires parce qu'ils servaient à l'éducation des artistes et des ouvriers, non pas tant parce qu'ils permettaient au peuple de se délecter de la contemplation des chefs-d'œuvre. Ferry ne faisait pas plus allusion à ce plaisir esthétique. Il notait que la caisse de dotation était nécessaire aux quatre musées du Louvre, du Luxembourg, de Saint-Germain et de Versailles pour peser face aux grands musées étrangers lors de l'acquisition des œuvres. « Evidemment la lutte est inégale, la défaite est assurée d'avance si le Parlement, par un effort généreux, ne vient à l'aide de nos collections ; collections menacées, messieurs, de rester stationnaires, et par conséquent de devenir inférieures, car dans le domaine de l'art, comme dans celui de l'industrie, ne plus avancer, c'est se condamner à une prochaine décadence »54. Le mot de « défaite » employé par Ferry ne pouvait manquer d'inquiéter ceux pour qui la suprématie artistique de la France constituait le dernier vestige de fierté après la débâcle de 1870. La production artistique, parce qu'elle renseignait sur le progrès d'une civilisation, participait au classement des puissances européennes. L’ « œuvre éminemment populaire » se confondait ainsi avec la défense des intérêts nationaux.
Parfois, ce n'était pas le principe de la démocratisation de l'art qui était contesté mais la façon dont il était mis en œuvre par le gouvernement. Antonin Proust, par exemple, partageait les vues utilitaristes de Ferry mais voulait davantage associer la société civile à l'entreprise de démocratisation. A la tête de l'éphémère ministère des Arts (novembre 1881–janvier 1882), il s'était fixé pour mission de « développer ce large enseignement des principes généraux de l'art que réclament nos grandes industries » ainsi que de « fortifier l'enseignement technique qui ne leur est pas moins nécessaire »55. Ensuite, Proust était convaincu que « le culte des arts ne [constituait] pas seulement l'une des plus pures jouissances de l'homme, mais qu'il [était] encore l'un des plus puissants auxiliaires de la fortune des nations »56. Enfin, comme Ferry encore, il se méfiait de transformer les ouvriers en artistes et ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'on mît des copies entre les mains du peuple. Cela étant dit, Proust était plus enclin à cultiver l'autonomie de la société civile. Dans le programme qu'il avait échafaudé de concert avec Léon Gambetta, il excluait « toute pensée de direction dans le sens étroit du terme » et appelait de ses vœux « une collaboration étroite, une sorte de pacte de confiance entre l'action publique et l'action privée »57. De surcroît, Proust était un farouche défenseur de la liberté artistique. Jusqu'à son retrait de la vie politique à la suite du scandale de Panama, il combattit sans relâche une censure dramatique fondée sur une opinion péjorative des femmes et des ouvriers.
Une autre forme de critique consistait à remettre en cause le strict utilitarisme de la politique républicaine. En 1881, Aristide Rey prit la parole au Conseil municipal de Paris pour revendiquer l'existence de besoins intellectuels et défendre la légitimité d'une intervention destinée à les satisfaire. Ce socialiste révolutionnaire devenu républicain bon teint soutenait que « démocratiser l'art au profit du peuple serait donner enfin une satisfaction rationnelle aux besoins légitimes d'émotions artistiques »58. De là à poser que la démocratisation culturelle était indépendante de considérations utilitaires et qu'elle devait uniquement obéir à un principe d'équité, il n'y avait qu'un pas, qui fut facilement franchi. Ainsi que l'écrivait Jehan de Bouteiller dans son rapport sur la proposition Rey, il était non seulement légitime de procurer un plaisir esthétique à la population mais encore il était injuste de ne pas lui donner accès aux théâtres subventionnés59. Les opinions exprimées au Conseil municipal de Paris avaient leurs analogues à la Chambre des députés. Il n'était pas rare en effet d'y entendre des appels à la justice qui mettaient en avant l'égal respect dû aux citoyens. On citera parmi d'autres l'intervention du député de l'Union républicaine Joseph Marion lors de la discussion du budget des Beaux-Arts en 1880 : « Je vous le demande, messieurs, est-ce qu'il est possible, est-ce qu'il est juste que le budget de l'Etat consacre 1 130 000 francs à subventionner deux théâtres de musique, l'Opéra et l'Opéra-Comique, qui sont, il faut bien le dire, absolument réservés à une classe privilégiée ? Est-ce qu'il ne serait pas juste enfin de jeter une obole de 200 000 francs, pour satisfaire ce goût de la musique, qui se développe de plus en plus dans la population parisienne et qu'elle ne peut pas satisfaire, faute de trouver un théâtre à bon marché ? »60.
Enfin, on trouvait certains critiques pour affirmer que non seulement la démocratisation des arts ne pouvait s'accommoder de la discrimination mais qu'une démocratisation fondée sur ce principe ne pouvait qu'entraîner le déclin artistique de la France. Le député socialiste Alfred Talandier faisait ainsi remarquer que les crédits à la musique encourageaient l'organisation d'événements, tels les bals masqués de l'Opéra, qui n'avaient rien à voir avec l'art et ne participaient en aucun cas à la diffusion d'œuvres de qualité. Voici le discours qu'il tint lors de la discussion du budget des Beaux-Arts en 1882 :
J'ai peur qu'il en soit un peu du grand art comme de la métaphysique et que nous ne nous entendions pas très bien sur ce que nous-mêmes nous voulons dire par là. Il y a cependant des institutions qui rendent la musique populaire, qui travaillent à un objet que je regarde comme sacré, la démocratisation de l'art : il y a les concerts, comme ceux de MM. Pasdeloup, Lamoureux, Colonne, etc., qui incontestablement, travaillent à la démocratisation de l'art. Il y a encore les musiques militaires, au sujet desquelles j'aurai l'honneur de vous soumettre un projet dans quelques jours, qui, elles aussi, travaillent à la démocratisation de l'art. Mais l'Opéra travaille-t-il à la démocratisation de l'art ? Je soutiens qu'il fait le contraire et qu'il travaille à la corruption, à la décadence de l'art61.
Dans l'esprit de Talandier, une démocratisation réussie impliquait de répondre aux souhaits du public populaire tout en le sensibilisant progressivement aux œuvres plus ambitieuses. Il demandait ainsi que « les artistes associés s'inquiétassent encore quelque temps de satisfaire au goût mauvais ou bon du public, car, comme le dit notre vieux Rabelais, “ nature ne endure mutations soudaines sans grande violence ”,—je vous ferai remarquer que c'est Rabelais et non Hegel que je cite de préférence,—mais au fond prissent pour tâche de former, d'élever et d'épurer ce goût de telle façon que le public ne voulût plus bientôt écouter que de grande et bonne musique »62.
Comme on le voit, les critiques dirigées contre la politique de Ferry venaient de tous les horizons politiques, y compris du camp républicain. Tandis que la droite abhorrait le principe de la démocratisation des arts car elle la rendait responsable de l'abaissement du niveau artistique national, les socialistes estimaient que la démocratisation pouvait seule relever ce niveau et reprochaient au gouvernement d'être trop timoré. Entre les deux, les opportunistes envisageaient la démocratisation des arts avec prudence, conscients du fragile équilibre qu'il fallait maintenir entre le projet éducatif, porteur d'un espoir de paix sociale, et le projet artistique, garant du prestige de la France sur la scène internationale. En fait, les propositions se multipliaient à l'intérieur de chaque parti. On trouvait ainsi également des opportunistes qui, respectueux du principe de la souveraineté populaire, voulaient satisfaire l'intérêt du peuple pour les arts. De la même façon, les radicaux se partageaient entre ceux qui dénonçaient la frivolité des divertissements et enjoignaient le gouvernement d'arrêter sa politique de démocratisation et ceux qui prônaient le désintéressement esthétique et voulaient poursuivre cette politique sans en attendre de bénéfices autres que l'épanouissement personnel. Enfin, les anarchistes revendiquaient le rôle social de l'art tout en affirmant que les œuvres d'art avaient par définition un caractère social, ce qui pouvait justifier de soutenir des œuvres à caractère révolutionnaire comme des œuvres moins engagées politiquement, des œuvres à visée pédagogique comme des œuvres de plus grande ambition artistique63.
Il ne faudrait pas conclure de cette profusion de critiques que la démocratisation n'était pas acceptée à l'époque de Ferry. Cette profusion suggère davantage une intense réflexion à propos des valeurs de la société et de leur hiérarchisation. Les individus étaient-ils égaux ? dans quelle mesure devait-on les traiter comme des égaux ? l'intérêt des individus pesait-il face à l'intérêt de la nation ? quel était le principe de justice qui devait gouverner le pays ? était-ce l'utilité, l'équité, ou autre chose encore ? si l'utilité était le principe de justice choisi, comment définissait-on le bien-être de la communauté ? l'excellence artistique du pays devait-elle prendre le pas sur l'éducation des citoyens ? que devait-on attendre de cette éducation ? On pourrait sans peine allonger la liste des questions.
. . .
Soit parce qu'il fallait maintenir une hiérarchie sociale et que la démocratisation risquait de la brouiller, soit parce qu'il fallait veiller à la gloire de la nation et que la démocratisation menaçait de distraire de précieux crédits, les gouvernements français ont longtemps hésité à rendre l'art accessible au plus grand nombre. Aiguillonnées par la compétition avec les autres puissances européennes, les autorités bonapartistes essayèrent de mettre la démocratisation au service de l'excellence artistique de la nation tout en organisant la ségrégation des groupes professionnels et sociaux. Cela donna—tout au moins au niveau des projets—une démocratisation axée sur l'éducation artiste des individus et attentive à ne pas faire de l'ouvrier un artiste ou du peuple une élite.
Avec l'arrivée des républicains au pouvoir à la fin des années 1870, l'égalité changea de statut. Bien qu'ils s'en méfiassent, les républicains lui reconnurent une valeur. Au contraire des bonapartistes qui l'avaient évitée autant que possible, les républicains la promurent autant que possible. Par ailleurs, l'intérêt national cessa de s'identifier uniquement à l'excellence artistique du pays pour englober l'éducation morale des citoyens. La paix sociale, en effet, ne s'obtenait plus par la répression ou les faveurs mais passait par le façonnement des esprits. N'étant plus subordonnée à la gloire nationale, l'éducation des citoyens devint un but à part entière. Au total, la démocratisation à l'époque de Ferry n'avait plus besoin de contribuer à l'excellence artistique du pays pour être justifiée. Elle continuait à discriminer les publics, d'une part, parce que le peuple devait être éduqué tandis que l'élite pouvait se contenter d'éprouver un plaisir esthétique et, d'autre part, parce que la paix sociale reposait sur des cultures de classe distinctes. Par contre, elle n'était plus aussi réticente à décentraliser l'offre artistique.
Après le ministère Ferry, la politique de démocratisation des arts poursuivit son évolution au gré des changements dans la définition de l'intérêt général ainsi que dans la relation entre l'intérêt des individus et l'intérêt général. Tout d'abord, le calcul d'utilité autorisa de plus en plus la décentralisation et toléra de moins en moins la discrimination. Les républicains constatèrent en effet que le strict maintien d'une hiérarchie nourrissait les tensions entre classes sociales. Pour ôter l'envie aux petits et décourager le mépris des grands, ils décidèrent de mettre le peuple et l'élite au contact d'une même culture, celle des chefs-d'œuvre. Ensuite, la Première Guerre mondiale donna la preuve éclatante de la vaillance du peuple, ce qui rendit caduc le projet d'éducation morale par l'art. A plus long terme, ayant éprouvé les effets néfastes de la rivalité entre puissances européennes, les gouvernements français mirent moins d'insistance à prouver la supériorité artistique de leur pays et se préoccupèrent davantage de l'épanouissement de leurs compatriotes. Toutefois, l'évolution la plus importante consista à abandonner une conception utilitariste de la justice selon laquelle l'intérêt général primait toute autre considération. Dans le courant de la Troisième République, même si la sanction définitive se fit attendre jusqu'à la Libération, on en vint à admettre que les individus pouvaient bénéficier de la protection de l'Etat même lorsque celle-ci allait à l'encontre de l'intérêt général. On en vint à leur reconnaître des droits.
Remerciements
L'auteure remercie les trois lecteurs de French Historical Studies ainsi que Juliette Rennes, Pierre Vaisse, Philippe Urfalino et Christopher Hamel pour leurs précieux commentaires. Elle tient à remercier particulièrement Patrick Fridenson pour son soutien tout au long de la rédaction.
Notes
1. Amartya Sen et Bernard Williams situent l'utilitarisme à la croisée de deux théories : d'une part, une théorie qui fait reposer la valeur dans le bien-être des individus (welfarism) et, d'autre part, une théorie qui fait dépendre le choix des actions de leurs conséquences (consequentialism). C'est cette définition que nous adoptons ici. Voir Sen et Williams, Utilitarianism and Beyond, 3.
2. Csergo, « Extension et mutation du loisir citadin, Paris XIXe–début XXe siècle », 151.
3. Mollier, « Le parfum de la Belle Epoque ». Jean-Yves Mollier utilise le terme culture de masse à plusieurs reprises dans le cours du chapitre.
4. Kalifa, « L'entrée de la France en régime “ médiatique ” ».
5. Genet-Delacroix, Art et Etat sous la IIIe République, 3.
6. Poirrier, L'Etat et la culture en France au XXe siècle, 10.
7. Ibid., 20.
8. Dubois, La politique culturelle, 107. Jean-Claude Yon défend une thèse similaire dans Yon, Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, 218–19.
9. Janet, « Rapport sur le programme d'un cours de morale dans les écoles normales », 81–82. D'autres sources indiquent que le rapport fut présenté en février 1881. Paul Janet avait été chargé avec Henri Marion de l'élaboration du cours d'instruction morale pour les écoles normales et les écoles primaires.
10. Passeron, Le raisonnement sociologique, 447–48.
11. Ibid., 449.
12. Ainsi, dans la récente biographie qu'elle lui a consacrée, Mona Ozouf n'évoque pas les activités de Ferry en tant que ministre des beaux-arts. Voir Ozouf, Jules Ferry.
13. Jules Ferry fut ministre de l'instruction publique et des beaux-arts entre le 4 février 1879 et le 20 novembre 1883 avec deux interruptions, entre le 14 novembre 1881 et le 30 janvier 1882 (ministère d'Antonin Proust) et entre le 7 août 1882 et le 21 février 1883 (ministère de Jules Duvaux). L'administration des Beaux-Arts était indépendante de celle de l'Instruction publique. Elle avait son propre budget et un personnel qui lui était dédié. Edmond Turquet en fut le sous-secrétaire d'Etat entre le 4 février 1879 et le 14 novembre 1881.
14. Exposition universelle de 1851, Travaux de la commission française sur l'industrie des nations, 8 : 437.
15. Rapport fait au nom de la commission des services administratifs sur la direction des Beaux-Arts au ministère de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts, par M. Edouard Charton, annexe n°3539, séance du 8 décembre 1875, dans Journal officiel, 25 janvier 1876, 731.
16. Furet, préface, 10.
17. Comme le rappelle François Furet, Auguste Comte considérait que l'idée de la souveraineté du peuple était un dogme métaphysique dont tout gouvernement fondé sur des principes positifs devait se garder.
18. Furet, préface, 10.
19. Rudelle, La République absolue, 289.
20. Rapport au ministre des beaux-arts sur la création d'un Opéra populaire, 26 février 1870, Archives Nationales, F21 4687.
21. Le décret du 29 juillet 1807 fixait à huit le maximum du nombre de théâtres dans la ville de Paris et cantonnait chacun d'eux dans l'exploitation d'un répertoire particulier. Avec le décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de l'industrie théâtrale, tout individu put désormais « faire construire et exploiter un théâtre à la charge de faire une déclaration au Ministère de notre Maison et des Beaux-arts, et à la préfecture de police pour Paris ; à la préfecture dans les départements ». Il n'était plus nécessaire d'obtenir une autorisation. L'article 4 du décret disposait en outre que les ouvrages dramatiques de tous les genres pouvaient être représentés sur tous les théâtres. Bureau, De la législation des théâtres.
22. Pour cette question, je renvoie à ma thèse, Chapin, « Discriminating Democracy : Theater and Republican Cultural Policy in France, 1878–1893 », et plus particulièrement au chap. 3.
23. Discussion du budget du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 29 juillet 1879, dans Journal officiel, 7752.
24. Ibid., 7750.
25. Ferry, « Discours de distribution des récompenses aux artistes exposants du Salon de 1879 », ix.
26. Pour le dessin, voir la contribution de Jocelyne Beguery, « Le dessin » ainsi que celle de Renaud d'Enfert, « Du dessin aux arts plastiques ». Pour la musique, voir l'ouvrage de Michèle Alten, La musique dans l'école ainsi que celui de Jann Pasler, Composing the Citizen. En ce qui concerne le théâtre, l'article 15 du règlement scolaire modèle des écoles primaires publiques du 18 juillet 1882 disposait que « toute représentation théâtrale est interdite dans les écoles publiques ». Voir Ministère de l'Instruction publique, Organisation, plan d'études et programmes des écoles primaires publiques et des écoles maternelles.
27. L'augmentation de 200 000 francs du budget pour subventions aux succursales du Conservatoire et écoles de musique dans les départements fut votée en décembre 1883, soit après la fin du ministère de Jules Ferry. Toutefois, l'initiative de la commission chargée d'organiser l'enseignement musical lui revient. Les premières succursales à voir le jour suivant l'adoption du nouveau budget furent organisées à Avignon, Nancy et Rennes par décret du 29 mars 1884.
28. C'est la commission du budget chargée des Beaux-Arts qui rejeta le crédit nouveau de 10 000 francs en faveur des musées départementaux et municipaux (chap. 15) ainsi que l'augmentation de crédit de 20 000 francs demandée par le gouvernement pour les expositions dans les départements (chap. 17). Voir le rapport fait au nom de la commission du budget chargée d'examiner le projet de loi portant fixation du budget général de l'exercice 1883, section des Beaux-Arts, par M. Logerotte, dans Annales de la Chambre des députés, séance du 26 juin 1882, annexe n°1034, 15–16.
29. Donnat, Les Français face à la culture, 167–68.
30. Discussion d'une proposition et d'un projet de loi ayant pour objet la vente des joyaux de la Couronne et l'affectation du produit de cette vente, dans Annales de la Chambre des députés, séance du 20 juin 1882, 584.
31. Joan Scott parle ainsi des « contradictions internes du discours politique qui a produit le féminisme », faisant référence aux « discours sur l'individualisme, les droits de l'individu et ses obligations sociales, utilisés par les républicains (et quelques socialistes) pour lier le citoyen aux institutions démocratiques en France ». Voir Scott, La citoyenne paradoxale, 19.
32. Ferry, Discours et opinions, 1 : 284–305. Pour une analyse du discours de la salle Molière, et plus généralement des réserves républicaines vis-à-vis de l'instruction féminine, voir Mayeur, L'enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République.
33. Le chiffre du budget 1879 est donné par Victor Champier dans L'année artistique : Deuxième année, 1879, 11. Le chiffre du budget 1882 se trouve dans le rapport fait au nom de la commission du budget chargée d'examiner le projet de loi portant fixation du budget général de l'exercice 1883, section des Beaux-Arts, par M. Logerotte, annexe n°1034, séance du 26 juin 1882, dans Journal officiel, 5. Les chiffres intermédiaires, 8,0 millions de francs pour 1880 et 8,2 millions pour 1881, sont donnés par Victor Champier respectivement dans L'année artistique : Deuxième année, 1879, 11 et L'année artistique : Troisième année, 1880–1881, i. L'adjonction du service des Bâtiments civils à l'administration des Beaux-Arts porta finalement le chiffre du budget 1882 à 17,9 millions de francs. Enfin, les crédits demandés par le gouvernement pour l'année 1883 marquaient une baisse sensible puisqu'ils s'élevaient à 16,9 millions de francs.
34. Rapport fait au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi portant fixation du budget général de l'exercice 1881, section Beaux-Arts, par Edouard Lockroy, Chambre des députés, annexe n°2752, séance du 17 juin 1880, dans Journal officiel, 8426.
35. Concernant les orphéons, Philippe Gumplowicz met en évidence une double évolution au début de la Troisième République, qui peut expliquer l'ambivalence des républicains. Dans le même temps où leurs effectifs se multiplièrent, ils perdirent la faveur des compositeurs d'élite et se replièrent sur un répertoire d'auteurs subalternes. Leur gain de popularité coïncida par conséquent avec une perte de leur crédit artistique. Voir Gumplowicz, Les travaux d'Orphée. Pour une histoire des concerts populaires, on se reportera aux travaux de Yannick Simon : L'association artistique d'Angers (1877–1893) et Jules Pasdeloup et les origines du concert populaire. A noter également la contribution de Jann Pasler, « Building a public for orchestral music : Les Concerts Colonne ».
36. Rapport fait au nom de la commission du budget chargée d'examiner le projet de loi portant fixation du budget général de l'exercice 1881, section Beaux-Arts, par Edouard Lockroy, Chambre des députés, annexe n°2752, séance du 17 juin 1880, dans Journal officiel, 8470–71.
37. Discussion du budget du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 3 juillet 1880, dans Journal officiel, 7555. Le crédit du chapitre 52 fut porté à 50 000 francs suite à l'adoption d'un amendement de M. de Sonnier (Union républicaine). Sur ces 50 000 francs, 20 000 étaient consacrés aux sociétés musicales, orphéons et fanfares.
38. Rapport fait au nom de la commission du budget chargée d'examiner le projet de loi portant fixation du budget de l'exercice 1884, 2e section Beaux-Arts, par M. Antonin Proust, dans Annales de la Chambre des députés, séance du 15 novembre 1883, annexe n°2372, 363.
39. Voir à ce sujet l'ouvrage de Daniel Sherman, Worthy Monuments.
40. Voir le rapport fait le 18 janvier 1879 au nom de la sous-commission chargée d'examiner la question dite du Théâtre Lyrique, par Hérold, sénateur, Bibliothèque nationale de France, Département de l'Opéra, PA 18 janvier 1879.
41. Projet de loi portant modification du budget général des dépenses de l'exercice 1880 (ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts), Chambre des députés, annexe n°1257, séance du 18 mars 1879, dans Journal officiel, 4422.
42. Discussion du budget du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 3 juillet 1880, dans Journal officiel, 7553.
43. Rapport présenté par M. de Lanessan, dans Rapports et documents : Conseil municipal de Paris (Paris, 1881), 4–5.
44. Discussion du budget des Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 7 décembre 1882, dans Journal officiel, 1944.
45. Rapport d'Edmond Turquet au ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts, Jules Ferry, suivi du règlement de l'exposition publique des ouvrages des artistes vivants pour l'année 1880, 3 janvier 1880, dans Journal officiel, 34.
46. Eugène Viollet-le-Duc, Musée de la sculpture comparée appartenant aux divers centres d'art et aux diverses époques [1er rapport signé : E. Viollet le Duc], (1879), 5. Le document, manuscrit, est disponible sur Gallica à gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1087076 (consulté le 28 août 2016).
47. Sauerländer, « “ Gypsa sunt conservanda ” », 75.
48. Discussion de l'interpellation de M. Robert Mitchell sur la direction donnée aux Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 18 mai 1880, dans Journal officiel, 5392.
49. Goncourt, Journal, 4 : 156.
50. Sur ce point, Christophe Charle note que la « montée de l'exclusivisme social de la fréquentation des théâtres traditionnels » à Paris se déduit « de la persistance de la concentration des salles les plus prospères et les plus chères dans le centre bourgeois, de l'élévation du prix moyen des places à l'intérieur de ceux-ci, du déclin des théâtres périphériques susceptibles de toucher la clientèle moyenne ou populaire, et de la montée en puissance en sens inverse, dans ces derniers quartiers, de nouveaux spectacles comme les cafés-concerts, les cabarets et les variétés » (Théâtres en capitales, 46).
51. Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1er décembre 1883, 1854.
52. Discussion d'une proposition et d'un projet de loi ayant pour objet la vente des joyaux de la Couronne et l'affectation du produit de cette vente, dans Annales de la Chambre des députés, séance du 20 juin 1882, 585.
53. Ibid., 581.
54. Ibid., 583.
55. Rapport de Léon Gambetta au président de la République, Jules Grévy, 14 novembre 1881, dans le Journal officiel du 17 novembre 1881, cité dans Genet-Delacroix, Art et Etat sous la IIIe République, 357.
56. Proust, L'art sous la République, i.
57. Ibid.
58. Ajournement à huitaine d'un rapport sur la mise en adjudication du bail du théâtre du Châtelet et de ses dépendances, renvoi à la 5e commission d'une proposition de M. Aristide Rey pour la création d'un théâtre de musique populaire, séance du 27 avril 1881, dans Procès-verbaux : Conseil municipal de Paris (Paris, 1882), 461.
59. Rapport présenté par M. de Bouteiller au nom de la 5e commission, annexe au procès-verbal de la séance du 7 mai 1881, dans Rapports et documents : Conseil municipal de Paris (Paris, 1882), 4.
60. Discussion du budget du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 3 juillet 1880, dans Journal officiel, 7553.
61. Discussion du budget des Beaux-Arts, Chambre des députés, séance du 7 décembre 1882, dans Journal officiel, 1941.
62. Ibid., 1943.
63. Voir McWilliam, Méneux, et Ramos, L'art social en France. Pour une exploration des rapports entre positionnements esthétiques et convictions politiques, on se reportera à l'ouvrage de Philip Nord, Impressionists and Politics.