Bernard Lazare est une figure historique dont le nom évoque avant tout la cause dreyfusarde. Et pourtant, pendant l’Affaire Dreyfus (1894-1906), bien qu’il se lance à corps perdu en faveur du capitaine Dreyfus au nom de son identité juive, il est délaissé par la judaïcité française. Certains intellectuels de son temps, tels Charles Péguy, tentent de lui rendre hommage, mais il faut attendre les écrits d’Hannah Arendt pour que soit reconnue à sa juste valeur sa conception de la judéité et son implication politique. Dans cet essai, il s’agira donc d’étudier cette figure insolite qui passa de l’assimilation au nationalisme juif, en analysant précisément sa francité choyée, son rapport à la judaïcité avant et après l’Affaire Dreyfus, son rejet du franco-judaïsme après y avoir adhéré, sa judéité perdue puis reconquise, et son sionisme idéalisé par sa mission prophétique. L’itinéraire juif de Lazare se révèle bien singulier et, néanmoins, propre au contexte historique de la France de la fin-de-siècle. Car son parcours complexe représente le paradoxe de la république française où l’identité nationale est prise simultanément entre l’universalisme républicain et le particularisme identitaire.
Bernard Lazare is a historical figure remembered mainly as a “Dreyfusard,” yet he was a complex figure who was unheralded by the French Jewish community during his life-time. Though he was acknowledged by some notable intellectuals (such as Charles Péguy), it was only later thanks to Hannah Arendt that his conception of Jewish identity and its political implications would become widely recognized. At first Lazare was a partisan of the Franco-Judaism theory but later founded a French Jewish nationalism movement in opposition to Theodor Herzl. This essay recapitulates the complexity of this historical figure who embodies the paradoxes of French Jewish identity (between particularism and universalism) in the context of the Third Republic of late nineteenth-century France. It also explores how Lazare became a utopian nationalist. In so doing, it analyzes his so-called metamorphosis during the Dreyfus affair (1894-1906), his idealized Zionism, and his romantic prophetism that, according to Charles Péguy, place him among the most important Jewish figures of his time.